
Il a tout perdu, ou presque, à cause d’un homonyme. Et le pire, c’est que son malheur perdure.
Depuis plusieurs mois, un habitant d’Aubergenville, dans les Yvelines, se bat contre l’administration. Manuel Monteiro est victime de la machine administrative. Cela lui a coûté son permis de conduire et son travail.
Tout a commencé sur une route de l’Essonne (dép. 91), le 23 septembre 2021. Manuel Monteiro est au volant de son camion. Il est chauffeur de poids lourd. Vingt ans de métier derrière lui. Pas un problème.
« Votre permis n’est plus valable »
Ce jeudi-là, il sait qu’il est un peu en surcharge. La police l’arrête pour le contrôler. « Monsieur, votre permis de conduire n’est plus valable depuis près de deux ans. Il a été invalidé. Veuillez descendre. Votre camion est immobilisé. »
Manuel Monteiro ne comprend pas. Il n’a jamais perdu un point. Son permis, c’est son métier.
Direction Pôle emploi
La seconde sanction tombe : suite au retrait complet de ses points, la justice lui interdit de repasser l’examen avant un an. Sa vie vient de basculer. Son employeur accepte de le maintenir à un autre poste pendant deux mois. Les effets du confinement arrivent. Son entreprise met la clé sous la porte. Lui va s’inscrire au pôle emploi. Terminé les camions. Terminé la voiture. Terminé la moto.
Dans le Nord de la France
En se renseignant, Manuel Monteiro va découvrir que tous les excès de vitesse qu’on lui reproche ont été commis dans le Nord de la France. Wicres, Wambrechies, La Basse, Sainghin-en-Melantois, Lille, Wasquehal, Hasnon… Toutes ces communes, il n’y a jamais mis les pieds. Et encore moins avec les voitures mentionnées dans son relevé : Tesla et Citroën Jumper principalement.
Manuel Monteiro va comprendre ce qui s’est passé en consultant son dossier. Un homonyme parfait lui fait porter le chapeau. Volontairement ou involontairement, il l’ignore.
Toujours est-il qu’il porte le même prénom et le même nom. Il a aussi vécu à Aubergenville. La date de naissance, le 14 octobre 1968, est strictement la même. Lui aussi est né au Portugal. Seule la ville diffère. Seule ? Non.
Au Portugal, il est d’usage d’avoir sur sa carte d’identité son prénom composé et son nom avec celui du père et de la mère. En France, c’est différent. On se contente juste de Manuel Monteiro.
Et dans le détail, les deux Manuel ont quand même quelques différences administratives. « Le problème c’est que l’homonyme de mon mari n’a pas de permis français. Uniquement portugais. Alors, on pense que le service des immatriculations a associé ses voitures au permis français de mon mari. Et c’est lui qui a perdu les points », poursuit cette dernière.
De guerre lasse, le couple décide de prendre une avocate.
Mon rôle était de permettre à Monsieur Monteiro de récupérer au plus vite ses points et son permis. J’ai commencé par des recours gracieux. J’ai démontré, enquête de gendarmerie à l’appui, que mon client était innocent. J’ai essayé de faire entendre raison au fichier national du permis de conduire.
Finalement, c’est en faisant un référé auprès du tribunal administratif qu’elle obtiendra gain de cause. Sans que cela ne pose le point final à l’aventure.
Et ça continue…
En octobre, Manuel Monteiro retrouve un peu le sourire. « Je me suis dit que c’était fini de vivre l’injustice. Que j’allais arrêter de faire des nuits blanches. Que j’allais pouvoir passer ma visite médicale pour reprendre mon métier de routier. Que j’allais arrêter de dépendre de ma formidable femme qui était obligée de me conduire partout. Bref, j’allais tourner la page. » Mais pas refermer le livre.
Par prudence, je me suis mis à consulter mon solde de points sur Internet. Plusieurs fois par semaine. Voici une semaine, aux alentours des fêtes de fin d’année, je suis tombé de haut… J’ai vu qu’on venait de me retirer un point pour excès de vitesse. Dans le Haut-Rhin où je n’étais pas. Ça a été la douche froide. J’ai peur de perdre encore mon permis.
Selon Johanna Acher-Dinam, la faute reviendrait à une négligence administrative. « Les premières infractions ont bien été enlevées. Mais pas l’association du permis de mon client aux voitures impliquées dans les excès. Il suffirait de dissocier son identité. Et surtout, d’arrêter cet homonyme qui roule en France sans permis valable. »
« L’autre Monteiro, il dort bien »
Le sentiment d’injustice s’est réinvité sous le toit de la famille Monteiro. « L’autre Monteiro, il dort bien. Il fait sa petite vie. Il ne peut pas ignorer qu’il se fait flasher ou qu’il grille des feux rouges ! Je fais comment moi pour reprendre une vie normale ? À cause de la perte de mon emploi, on avait déjà réduit les vacances. Nous avons été obligés de faire très attention pour pouvoir payer nos deux petits crédits. Et puis, comment je vais réussir à trouver un autre patron avec cette situation au-dessus de la tête ? Quand je pense qu’il suffirait juste de mettre à jour un fichier, avec le prénom et le nom composés… L’erreur, l’oubli, ça peut arriver. Mais ça fait des mois que ça dure… »
Son avocate l’a rassuré. Si la situation n’évolue pas, elle engagera d’autres démarches, à commencer par une requête auprès du procureur de la République. Et pourquoi pas, une action contre l’État.