L’auteur, qui nie avoir eu l’intention de « tuer » son jeune colocataire…
L’auteur, qui nie avoir eu l’intention de « tuer » son jeune colocataire de 22 ans, arrivé sans papiers de Tunisie deux mois plus tôt, s’est-il laissé déborder par sa frustration ?
À l’audience, l’enquêteur de personnalité qui l’a rencontré en détention provisoire a dressé le portrait d’un jeune clandestin à qui le destin a plusieurs fois refusé de sourire. Arrivé en France en 2014 avec l’espoir de pouvoir y construire « une vie meilleure », Saber Ayadi est allé de mauvaise surprise en déception.
À Poitiers, à Libourne ou à Périgueux, l’accusé a toujours trouvé du travail dans la restauration rapide, mais jamais autrement « qu’au noir, sans fiche de paie, ni Sécurité sociale ». « Un employé modèle, vraiment ? a interrogé la présidente de la cour, Marie-Dominique Boulard-Paolini. Le frère du gérant du restaurant de kebab a dit qu’il était gentil, mais qu’il pouvait péter un câble. » « Il a déclaré avoir toujours été exploité par ses employeurs qui profitaient de sa situation irrégulière pour lui demander de faire beaucoup d’heures, sans rien lui donner en retour, si ce n’est un toit au-dessus de leur établissement moyennant loyer », s’est contenté de répondre l’enquêteur de personnalité.
Sentiment d’échec
Sa vie amoureuse ne lui aura pas non plus permis de sortir de la clandestinité. À deux reprises au moins, Saber Ayadi a noué des relations sentimentales avec des jeunes femmes, avec lesquelles il a évoqué « la possibilité de se marier ». Mais aucune n’a duré plus d’une année.
À la barre, une ex-petite amie a parlé d’un jeune homme « timide » et « gentil », voire « attentionné », mais capable, dans le même temps, de lui proposer lors de leur première nuit d’amour un « scénario sexuel » en complet décalage avec sa personnalité. « Il voulait m’attacher au lit », a expliqué la jeune femme, qui n’a pas « souhaité poursuivre la relation après ça ».
« Il était dans une impasse où rien n’avançait pour lui »
« Il était dans une impasse où rien n’avançait pour lui », ont résumé tour à tour le psychologue, puis le psychiatre qui l’ont examiné pendant l’instruction. Ce sentiment d’échec a-t-il participé à le rendre susceptible et nerveux vis-à-vis de la victime ?
D’un bout à l’autre de la procédure, Saber Ayadi a toujours dit s’être senti « rabaissé » et « moqué » par son colocataire, plus jeune et physiquement plus costaud que lui. « Il s’est toujours posé en victime face à Mohamed Amine Boughanmi qu’il disait moqueur et irrespectueux », a fait valoir le psychologue clinicien. « En garde à vue, il s’est plaint que la victime lui prenait des affaires pour les porter, a rapporté pour sa part le commandant de la police judiciaire qui a dirigé l’enquête. Il a aussi mentionné le fait qu’elle avait parlé à sa copine pour dire du mal de lui. »
Quid de la drogue ?
Dans ce tableau en clair-obscur, quelle place a la drogue ? Saber Ayadi consommait du cannabis. Le jour des faits, « même si l’intéressé a dit le contraire, il avait été exposé au cannabis », relève la présidente de la cour d’assises. De là à conclure que les stupéfiants ont pu influencer son passage à l’acte ou, a minima, son comportement, il y a un pas que les experts se sont refusés à franchir. « L’auteur apparaît calme, mais peut se montrer impulsif sous l’effet de toxiques ou dans un milieu difficile comme la prison », a concédé le psychologue, en se gardant bien de se montrer plus affirmatif.
La seconde et dernière journée du procès qui se tiendra mardi 21 février permettra-t-elle d’en savoir plus sur le mobile du meurtre ? Rien n’est moins sûr.
La défense a semé le doute
Au cours de cette première journée d’audience, Me Barateau et Me Lebon, les avocats de la défense, auront réussi à semer le doute sur ce qui s’est réellement passé entre Saber Ayadi et Mohamed Amine Boughanmi le soir du meurtre. La victime était-elle réellement assise ou était-elle en train de se lever quand elle a reçu un coup de couteau dans la carotide ? A-t-elle quitté l’appartement à la recherche d’une aide ou avec la volonté de rattraper son agresseur ? La profondeur de la blessure est-elle liée à la violence du coup ou à l’affûtage de la lame neuve ?
Mardi 21 février, l’avocat de la partie civile, Me Hammouche, et la vice-procureure de Périgueux, Anne-Claire Galois, devront composer avec un tableau plus incertain qu’il n’y paraît.