Il n’y aura sans doute pas de procès pénal sur « le casse du siècle » au Carlton. Au terme de neuf années de procédure, le juge grassois en charge du dossier a émis un avis de fin d’instruction. Faute de braqueur identifié et interpellé, le Parquet de Grasse vient de déposer une ordonnance de non-lieu. Le mystère sur cet audacieux hold-up dans l’un des plus prestigieux palaces de la Croisette, au cœur de l’été 2013, demeure. Même si certains diamants auraient été retrouvés ou restitués, dont l’un serait encore aux mains des enquêteurs du FBI!
Mais au civil, cette affaire retentissante rebondit devant le tribunal de commerce de Cannes, où la guerre des quatre – assureurs, organisateur, palace, société de sécurité – a bien lieu.
Qui va payer les pots cassés, sachant que près de 72 millions d’euros sont en jeu?!
Une somme que l’assureur Lloyd’s de Londres a déjà versée à son client, le joaillier Lev Liev. Mais qu’elle entend désormais récupérer, via une condamnation du Carlton et de la société de sécurité et gardiennage BSL.
Grand amateurisme
Me Clément Dupoirier évoque ainsi les manquements à la sécurité de l’exposition, d’après les témoignages d’employés du Carlton : un ancien responsable de la blanchisserie devenu chef de sécurité; un cahier de contrôle des clés d’accès à l’expo (avec noms et horaires des entrants) qui est « émaillé de blancs » ; une absence de vérification sur les portes-fenêtres, ou seulement trois agents de sécurité non armés, « pris en otages » dans la même pièce quand il y aurait dû en avoir à l’extérieur pour contrôler l’accès. « Tout cela relève d’un très grand amateurisme, et nous cause préjudice ».
Sur BSL, les reproches pleuvent aussi: » Elle a été incapable de mener à bien sa mission car elle a sous-traité son contrat de sécurité sans rien dire à personne, avec une société basée à Saint-Tropez, spécialisée dans la sécurité des mariages! »
Par la voix de Me Tiphaine Bouvard, le Carlton réfute toute faute, « c’est juste une fiction fabriquée par Lloyds pour trouver un responsable. »
À risques et périls
Le contrat de l’hôtel passé avec BSL? « Il ne concerne que la sécurité générale et habituelle des résidents, en dehors de toute prestation exceptionnelle. «
Pour l’avocate parisienne, la sécurité de l’exposition à hauts risques relevait seule de la société Le Levant, domiciliée à Dubaï, qui avait l’habitude d’organiser cet évènement estival depuis plusieurs années. Ce que dément évidemment l’intéressée (lire ci-dessous).
Et de s’associer à Me Yves Moraine (aux intérêts de BSL) pour évoquer un audit de 2011, commandé par Lloyd’s, qui soulignait déjà des failles sécuritaires pour une telle exposition. Notamment sur la qualification et le nombre des agents, ou sur le contrôle des portes et des fenêtres. « LLoyd’s avait parfaitement connaissance des conditions de l’exposition et de ses faiblesses, mais il en a accepté les risques en parfaite connaissance de cause, afin que son client bénéficie de la très riche clientèle de Cannes. »
Agents sans faute
De son côté, Me Moraine souligne combien une condamnation mettrait en péril la société BSL, alors que l’organisateur (Le Levant) n’avait passé « qu’une commande sèche de trois agents, c’est tout. C’est une simple mise à disposition, ce n’est pas configurer la sécurité d’une telle exposition! ».
Pour l’avocat marseillais, les agents engagés n’ont d’ailleurs commis aucune faute, compte tenu de leur rôle et de leurs moyens.
Autrement dit, si chacun s’accorde finalement à considérer que la sécurité mise en place n’était pas à la hauteur de l’événement, reste à savoir qui sera désigné responsable d’un tel fiasco. Le jugement du tribunal présidé par Nelly Martinez sera rendu le 11 mai prochain.

L’organisateur de l’expo: « Nous, on est victimes! »
Cette procédure devant le tribunal de commerce de Cannes, c’est un peu le jeu des dominos. Ou une partie de billards à plusieurs bandes. L’assureur du joaillier dévalisé incrimine le Carlton et sa société de sécurité BSL ? Le palace et l’assureur de BSL (Allianz) répliquent en renvoyant Lloyd’s dans ses cordes, tout en désignant à leur tour la société Le Levant, organisatrice de l’exposition pour le compte du bijoutier Lev Leviev !
Aux yeux de Me Florence Romeo, c’est évidemment un flagrant délit d’injustice : « Nous, on est victime ! », affirme l’avocate.
En cause ? Un contrat passé avec Le Carlton, afin de louer la salle de l’exposition Extraordinary Diamonds qui sera braquée par un homme seul mais armé, le 28 juillet 2013 en fin de matinée.
« Une clause générale nous charge de la sécurité. Mais une clause spéciale, qui prévaut en droit, nous oblige à passer par BSL ! On a payé BSL, mais on ne pouvait pas intervenir sur leurs capacités à remplir cette mission », défend Me Romeo, qui renvoie le boomerang à son lanceur. « Sur son site internet, le Carlton se targue d’être en capacité d’organiser des expositions. En tant qu’hôtel hôte, il avait une obligation de sécurité renforcée qu’il n’a pas respectée. Ce n’était pas à nous de surveiller les bijoux exposés. »
Et de réclamer une somme de 150 000 e de préjudice (qui comprend notamment la location de la salle) ainsi que des dommages et intérêts. Une prétention évidemment contestée par le Carlton. Son avocate Me Thifaine Bouvard souligne d’ailleurs, non sans malice, que la société Le levant ne s’est pas gênée pour négocier les services de sécurité de BSL… à un tarif préférentiel.
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Braqueur amateur?
On l’a surnommé le « casse du siècle ». Tant par l’ampleur du butin (d’abord estimé à 103 millions d’e en bijoux et pierres précieuses) que par la facilité déconcertante avec laquelle il a été exécuté, lors d’une exposition dans un palace cannois qui aurait évidemment mérité d’être placée sous haute sécurité. – Le 28 juillet 2013 vers 11 h 30, les bijoux sont sortis du coffre du Carlton et acheminés dans la salle réservée à l’exposition Extraordinary Diamonds du joaillier Leviev. Trois agents de sécurité sont présents dans la pièce.
– 11 h 31 : le braqueur fait irruption, casquette sur la tête et foulard sur le visage, vêtu d’un pantacourt et chaussé de baskets. Arme au poing, il met en joue les vigiles et les contraints à s’allonger au sol.
– 11 h 32 : Le malfaiteur s’empare d’un gros sac de sport contenant une partie des bijoux, puis des coffrets en contenant d’autres, avant de s’enfuir par la porte-fenêtre de la terrasse extérieure, qui ne fermait pas !
En moins de trois minutes, il aurait emporté 72 pièces de haute valeur. Malgré toutes les investigations menées par la PJ et la BRB (Brigade de Répression du Banditisme) de Nice, voire du FBI, l’auteur des faits n’a jamais été identifié et interpellé, au terme de 9 années de procédure.