
Sur les étagères, de nombreuses petites fioles. 480 au total. Sur sa table de travail, un doseur, des gants, des lunettes de protection, de nombreuses bandes papiers pour sentir les différents arômes et bien sûr, un cahier de notes, pour qu’il puisse écrire ses formules.
Créer des saveurs avec des arômes
Julien Morand est un aromaticien à Cherbourg (Manche). Un métier peu connu, pourtant très recherché et notamment dans les entreprises d’agroalimentaire. « Nous travaillons avec des molécules naturelles ou artificielles odorantes pour composer, associer, reconstituer de nouveaux arômes. Cela peut-être pour des bonbons, par exemple », résume celui qui a fait des études de chimiste.
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Julien, lui, travaille pour l’entreprise cherbourgeoise Le Petit Vapoteur, leader sur le marché européen de la vape. Un secteur plus fermé que l’agroalimentaire et très concurrentiel.
Il faut sans cesse innover, proposer de nouvelles saveurs, et être créatif.
Depuis deux ans, il travaille donc sur la création de toutes sortes d’arômes pour confectionner diverses saveurs de vapotage. « Nous commandons auprès de cinq fournisseurs français pour avoir nos arômes de base. Ensuite, j’imagine une saveur que je vais recréer à partir de ces arômes, et trouver la formule chimique pour reconstituer cette saveur. »
Il n’y a pas de limite à sa créativité si ce n’est le goût du consommateur et la qualité. C’est l’un des maîtres mots de l’entreprise. Les arômes ne doivent contenir aucune molécule cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques (nocive à la reproduction).
« Nous travaillons avec des arômes élaborés de façon synthétique pour éviter tout problème d’homogénéité. Notre but est de proposer une vape la plus saine possible », explique le chimiste. Il imagine une saveur et la recréer par mélange de molécules.
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De la création à la mise en bouteille
« En moyenne, je pense mettre deux semaines à trouver la bonne formule », détaille-t-il. Il conçoit ensuite l’e-liquide à partir de glycérine végétale et de propylène glycol. L’un ajoute de la viscosité mais diminue le goût, l’autre est très liquide mais exhausteur de saveur. Là encore, il faut alors jouer du dosage pour allier les deux à la juste mesure.
20 %
C’est la proportion maximum d’arômes alimentaires présents dans l’e-liquide de la cigarette électronique, qui est aussi composé de glycérine végétale, de propylène glycol et de nicotine (0 à 20mg/ml), selon les besoins du vapoteur.
C’est alors l’heure de la validation auprès d’un panel de vapoteurs et des salariés de l’entreprise eux-mêmes. Si la formule est approuvée, elle est analysée sur plusieurs critères dont l’homogénéité, la densité et la viscosité. Puis, la formule est lancée en production, ici dans les mêmes locaux.
Là encore, une succession de contrôles va avoir lieu. Toutes les bouteilles produites seront inspectées, avec le chromatographe, pour vérifier que la formule est scrupuleusement respectée.
Les saveurs remises en cause
C’est l’une des nouvelles demandes du comité national contre le tabagisme (CNCT). Dans un communiqué daté du 13 février 2023, l’association révèle les résultats de son projet d’études sur les nouveaux produits du tabac et de la nicotine, et appelle les pouvoirs publics à interdire les arômes à l’exception de l’arôme tabac.
Selon eux, la multiplicité des arômes viserait à cibler les jeunes générations en insistant sur leur dimension récréative et en minimisant leur caractère addictif et toxique.
« Une erreur », assure Le Petit Vapoteur comme pour la fédération interprofessionnelle de la vape (fivape). « Les saveurs sont un facteur capital de maintien dans la motivation » pour arrêter de fumer, rappelait sur France Infos, le président de la Fivape, Jean Moiroud.
Dans une publication internet, l’entreprise de vape cherbourgeoise réagissait aussi le 20 février. « La variété des arômes facilite le sevrage tabagique. La vape est le premier outil de sevrage tabagique utilisé par les Français, et est reconnue officiellement en France comme un outil de réduction des risques pour les fumeurs. La Vape est interdite aux mineurs depuis 2016, l’effet passerelle vape/tabac n’a d’ailleurs jamais été démontré », argumente Le Petit Vapoteur.
Selon eux, le CNCT et les acteurs de la vape devraient plutôt faire bataille commune, pour « lutter contre les ravages du tabagisme à l’origine de 75 000 décès chaque année en France ».
Aujourd’hui, 4 millions de Français vapotent. Sur les 2,1 millions de clients du Petit Vapoteur, 69 % ont arrêté le tabac. Selon un sondage de l’entreprise réalisé auprès de 6 216 personnes, 47 % pensent même qu’ils risquent de stopper la vape et de recommencer à fumer en cas d’interdiction des arômes. Ils sont encore 12 millions à fumer du tabac quotidiennement.
À quelques mètres du laboratoire, la chaîne de conditionnement tourne 24 h/24 les jours de semaine. Au total, 50 fioles en sortent à la minute. Et parmi les produits contenus, nombreux sont des saveurs exclusives du Petit Vapoteur, imaginées et créées par Julien. Le grand chef de la vape.
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Il a déjà remporté deux Awards
À tout juste 30 ans, Julien est un talent parmi les aromaticiens de la vape. Difficile de savoir combien exercent le métier, « peut-être une centaine », détaille-t-il à vue de nez. Mais lui peut s’enorgueillir d’avoir déjà reçu deux Awards. Un prix qui récompense, chaque année, les plus belles créations dans le domaine du vapotage. « J’en avais obtenu un premier dans mon ancien emploi », explique-il.

S’il est aujourd’hui Cherbourgeois, c’est en effet parce que les dirigeants du Petit Vapoteur ont été le chercher. Il est originaire de la région parisienne, « un banlieusard du 77 », sourit-il. Après un master de chimie et une spécialisation dans les arômes, il découvre, lors d’un stage, le milieu de la vape. C’est une révélation.
« Je travaillais plutôt dans l’analyse et le contrôle que dans la création de saveurs », explique-t-il. Il concevra tout de même cette première saveur primée, avant de créer la seconde, cette fois pour le compte du Petit Vapoteur. « C’est peut-être la création dont je suis le plus fier, parce qu’elle rencontre un petit succès. Nous l’avons appelé Namaka, et part sur une bonne base de fruits rouges. »
Et Julien ne compte pas en rester là, il a encore plein de saveurs à recréer.
Il n’y a pas de limite. Par exemple, la saveur fraise peut être déclinée à la façon d’une fraise Tagada, d’une tarte… Ce sont les saveurs sucrées qui fonctionnent le mieux. Et il y a une saisonnalité. Imaginons une saveur mojito, elle est plus adaptée à la saison estivale.
Pour reconstituer ces saveurs, le processus de création est toujours le même : « D’abord, je sens les arômes qui peuvent entrer dans la composition de la saveur, puis en goûtant dans de l’eau avec un peu de sucre, et finalise en vapotant ». Au fil de l’exercice, une recette naît, notée sur son cahier par une formule chimique.