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« Cold cases » : « Il faut accepter l’idée qu’un crime puisse n’être jamais élucidé », estime Jacques Dallest

Ne pas pouvoir mettre de nom sur l’auteur d’un crime, cela fait partie du métier mais c’est un triple échec. Professionnel, personnel et social car nous agissons au nom de la société. C’est aussi un échec pour les proches qui attendent une réponse de la justice. Il peut être définitif mais provisoire si le dossier est repris ou si de nouveaux éléments surgissent, même plusieurs années après clôture de l’enquête. C’est la raison pour laquelle a été créé à Nanterre ce pôle spécialisé dans les affaires non élucidées, faisant suite au groupe de travail que j’avais présidé en mars 2021.

Pourquoi n’a-t-il pas été créé plus tôt ?

Cela fait longtemps qu’on réfléchit sur les « cold cases ». Moi-même, j’y pensais quand j’étais…

Ne pas pouvoir mettre de nom sur l’auteur d’un crime, cela fait partie du métier mais c’est un triple échec. Professionnel, personnel et social car nous agissons au nom de la société. C’est aussi un échec pour les proches qui attendent une réponse de la justice. Il peut être définitif mais provisoire si le dossier est repris ou si de nouveaux éléments surgissent, même plusieurs années après clôture de l’enquête. C’est la raison pour laquelle a été créé à Nanterre ce pôle spécialisé dans les affaires non élucidées, faisant suite au groupe de travail que j’avais présidé en mars 2021.

Pourquoi n’a-t-il pas été créé plus tôt ?

Cela fait longtemps qu’on réfléchit sur les « cold cases ». Moi-même, j’y pensais quand j’étais juge d’instruction à Lyon. Ce pôle spécialisé n’était pas gagné d’avance, certains trouvaient l’idée luxueuse ou superflue, alors que d’autres pays, comme les Pays-Bas, ont des années d’avance sur nous. Il est le fruit d’un mélange d’opportunité et de volontarisme. En France, où la justice est un chantier permanent, on a institué de nombreux pôles comme l’antiterrorisme, la santé publique ou les JIRS (Juridictions interrégionales spécialisées). La spécialisation est indispensable, à côté des affaires courantes du quotidien qui requièrent énormément de temps.

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Les progrès de la science sont déterminants mais ne suffisent pas à élucider une affaire.

La science est un outil dont il faut savoir se servir. Une goutte de sang peut confondre un criminel mais encore faut-il penser à la chercher. Enquêter et instruire, c’est d’abord une affaire humaine de flair, de sagacité, de déduction. Des dossiers n’ont pas abouti parce qu’il y a eu des négligences ou trop de certitudes et de routine. La répétition peut endormir le discernement. C’est pourquoi je suis partisan de l’instruction collective, surtout dans les affaires compliquées. Il faut partager son travail, le remettre en question au lieu de croire qu’on a raison tout seul. C’est cela qui peut fabriquer un « cold case ». Au désespoir des familles qui ne peuvent plus accepter ça de la justice.

Annoncer l’échec aux familles, c’est le plus dur ?

Oui mais il faut toujours annoncer aux familles que le dossier va être clôturé et pourquoi il va l’être. Moi-même, pris par le travail, il m’est arrivé de l’oublier et de prévenir les proches par une ordonnance de non-lieu. C’est un choc violent pour une famille. Ce sera une des missions du pôle de Nanterre qui ne résoudra pas toutes les enquêtes. Quand on explique un échec, il est plus facilement admissible pour son interlocuteur. Il faut faire preuve de pédagogie et d’empathie, comme le font les médecins d’aujourd’hui. La justice et la médecine ne doivent plus rester sur leur piédestal et se croire intouchables. L’institution pour laquelle j’ai travaillé est encore perfectible dans sa communication, pas seulement pour les « cold cases ». Cela dit, il ne faut pas surestimer l’effet de la résolution d’une enquête ou d’un procès dans le travail de deuil. Même avec un coupable, un crime peut rester inexpliqué.

Un dossier devient un « cold case » au-delà de 18 mois. Pourquoi ce délai ?

La commission que je présidais devait fixer une temporalité. 18 mois, cela laissait le temps de résoudre une affaire puisque la plupart le sont dans les huit à quinze jours. L’intérêt de ce délai est qu’il permet de ne pas dessaisir le juge d’instruction. Au-delà de 18 mois, l’affaire peut partir au pôle spécialisé mais c’est facultatif pour ne frustrer personne.

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Chaque année, 15 à 20 % des affaires restent non élucidées. C’est énorme.

Il faut d’abord dire qu’il y a trente ans, on comptait environ 1 500 homicides par an, contre presque 900 aujourd’hui, hors attentats terroristes. Ce pourcentage est une estimation dans laquelle on intègre les règlements de compte qui ne sont pas pour autant des « cold cases » et sont difficiles à résoudre car la victime a pu elle-même tuer auparavant. En revanche, il faudrait y inclure les disparitions qu’on ne comptabilise pas parmi les homicides alors que la plupart ont des issues criminelles, comme on peut le penser pour Marion Wagon, disparue à Agen en novembre 1996.

L’affaire Grégory est-elle le « cold case » de référence ?

C’est un « cold case » puisqu’on n’a jamais identifié l’auteur du crime mais il y a eu des mises en examen. Dans d’autres affaires, il n’y a aucune piste, comme la tuerie de Chevaline ou le meurtre de cette jeune femme, étranglée à Lyon, dont j’avais ouvert l’instruction, clôturée en 2012 sans coupable. Il y a aussi le crime gratuit, sans lien entre le tueur et la victime, encore plus difficile à élucider. Une affaire trop vite résolue intéresse moins l’opinion publique, les romanciers ou les scénaristes qu’un crime non élucidé, surtout si la victime est un enfant. Il y a une fascination, notamment médiatique pour le « cold case », comme avec l’affaire Jubillar. Un magistrat doit en tenir compte, tout en respectant le secret de l’instruction.

Le 5 septembre 2012, quatre personnes sont tuées dans le village de Chevaline, en Haute-Savoie. À ce jour, la justice ne dispose d’aucune piste pour identifier le tueur.
Le 5 septembre 2012, quatre personnes sont tuées dans le village de Chevaline, en Haute-Savoie. À ce jour, la justice ne dispose d’aucune piste pour identifier le tueur.

Archives Jean-Pierre Clatot/AFP

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Peut-on en finir avec le « cold case » et si oui, comment ?

On peut améliorer la formation des magistrats et c’est déjà en cours à l’ENM (École nationale de la magistrature). Il faut conserver soigneusement tous les scellés et les pièces à conviction pour les magistrats de demain. Mais il faut accepter l’idée qu’un crime puisse n’être jamais élucidé. C’est l’apanage d’une démocratie. Sinon on peut ficher génétiquement dès la naissance et insérer une puce qui décrira tous vos faits et gestes. Je ne crois pas que ce soit la société idéale.

Jacques Dallest, « Cold cases », préface d’Éric Dupond-Moretti, Mareuil Éditions, 382 pages, 22 euros.

Quatre ans à Bordeaux

Magistrat chevronné, préférant le terrain au bureau, Jacques Dallest, 67 ans, a débuté comme juge d’instruction à Lyon, en 1984. Il a exercé la fonction de procureur à Ajaccio (1996-2001) et à Marseille (2008-2013) après quatre années à Bordeaux (2004-2008). Il a fini sa carrière comme procureur général à Chambéry, après avoir requis la condamnation en cour d’assises de Nordahl Lelandais, en février 2022. Il a également enseigné à l’ENM de Bordeaux.

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