
La collection du musée d’Orsay s’est enrichie d’une pièce remarquable. Partie de bateau du peintre français Gustave Caillebotte est désormais accroché dans la galerie impressionniste de ce musée du 7e arrondissement de Paris.
Une acquisition permise « par l’État, mais aussi, (…), grâce au généreux mécénat de LVMH », s’émouvait la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, dans un discours prononcé le 1er février 2023. Protection de l’État, « générosité » de Bernard Arnault… Comment ce « chef-d’œuvre » du XIXe siècle a-t-il fini sur les cimaises d’Orsay ?
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Gustave Caillebotte, trésor national
Au départ, il y a ce canotier coiffé d’un haut-de-forme, qui rame, la mine concentrée. L’œuvre de Gustave Caillebotte livre un instantané de ce loisir typique de la bourgeoise urbaine du 19e siècle. Sérail dont l’auteur, collectionneur d’art et mécène des impressionnistes, était lui-même familier.
Ami de Monet et de Renoir, les toiles de Caillebotte sont rares. Et elles affolent le marché. En février 2019, Chemin montant du peintre parisien, s’est écoulé à 22,1 millions de dollars chez Christie’s, soit une belle plus-value de 15 millions d’euros pour son vendeur.
Un an plus tard, Partie de bateau, alors propriété des descendants de Caillebotte, a été classée au titre des trésors nationaux par un arrêté du 30 janvier 2020, signé du ministère de la Culture. Un statut particulier qui empêche ce bien culturel de quitter le territoire français pendant une durée de 30 mois en raison de son intérêt patrimonial majeur.
Appel au mécénat pour 43 millions d’euros
Un « compte à rebours », selon les mots de la ministre de la Culture, durant lequel l’État français a cherché un moyen d’acquérir l’œuvre au prix du marché. Dans cette optique, le ministère lançait un appel au mécénat d’entreprise, le 25 mars 2022, sur la somme de 43 millions d’euros, pour l’acquisition de Partie de bateau.
Appel auquel a répondu LVMH, géant de l’industrie du luxe, et habitué des libéralités dans la galaxie artistique. « LVMH affirme ainsi, une nouvelle fois, son engagement à la préservation et au rayonnement du patrimoine artistique et culturel national », se félicitait Jean-Paul Claverie, conseiller mécénat de Bernard Arnault.
4,3 millions d’euros, le vrai montant du don de LVMH
Un don pour la beauté du geste ? Pas vraiment. Depuis 2003 et la loi Aillagon, le mécénat est devenu extrêmement attractif. Une entreprise peut déduire de ses impôts 60 % du montant de son don. Un cadeau fiscal qui atteint même 90 % pour les « trésors nationaux » comme le tableau de Caillebotte. Une orientation législative qui a fait du mécénat un acteur majeur de la préservation du patrimoine français.
Entre 1993 et 2000, seulement 3,3 % des « trésors nationaux » étaient acquis avec l’aide du mécénat. Entre 2000 et 2017, (après la loi Aillagon), cette part a bondi à 31,0 %, indiquait la Cour des comptes dans un rapport sur le mécénat paru en 2018.
Ainsi, sur les 43 millions avancés par LVMH, 38,7 millions seront indirectement recouvert par l’entreprise sous forme de déduction d’impôt. En réalité, la firme n’aura eu à sortir de sa poche « que » 4,3 millions d’euros.
« Faire exister le groupe dans l’establishment culturel »
Secret de polichinelle, le mécénat n’est pas un acte généreux, mais bien une opération marketing. Dans une interview donnée à Fashionnetwork, Jean-Paul Claverier ne le dit pas autrement : « Mon rôle était de construire l’identité institutionnelle du groupe LVMH au travers d’une action de mécénat, de faire exister le groupe dans l’establishment culturel ».
Reste que, l’affaire a fait le bonheur du musée d’Orsay dont le portefeuille d’achat est limité 3 millions d’euros. Mais cette pratique a fait grincer certains politiques à gauche, estimant qu’en dernière instance, c’est bien le contribuable qui paye.
Un argument que soulignait la Cour des comptes elle-même dans son rapport sur le mécénat. En 2017, l’institution évaluait le manque à gagner de ces coups de pouce fiscaux à 900 millions d’euros pour le budget l’État.