Une vingt-sixième bande corse fichée au grand banditisme s’est-elle récemment ajoutée au document « confidentiel-évolutif » rédigé par les services de police le 18 mars dernier ? Dans un communiqué transmis mardi à Corse-Matin, le GCC, pour « Ghjuventu Clandestina Corsa » (Jeunesse clandestine corse), a officialisé son existence. Une existence constatée depuis l’été passé, avec la multiplication d’incendies criminels visant essentiellement des résidences secondaires.
Mardi, d’ailleurs, le parquet national antiterroriste (Pnat) s’est saisi de « l’ensemble du dossier GCC », soit 14 affaires de dégradation par incendie dans lesquelles est apparu le tag « GCC », a indiqué le procureur d’Ajaccio, Nicolas Septe.
L’annonce de « Ghjuventu Clandestina Corsa » a été faite le soir même de la visite du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin en Corse, là où le GCC affirme vouloir désormais être « le bras armé d’un mouvement révolutionnaire » et marcher « sur les traces du FLNC ». Un Front de libération nationale corse des débuts qu’a bien connu Léo Battisti, l’un des militants nationalistes fondateurs de l’organisation clandestine historique. Aujourd’hui animateur du collectif Maffia Nó qu’il a cofondé en septembre 2019, il entend ne pas trop donner d’importance à ce « GCC » : « C’est le fait de quelques jeunes animés par un idéal mais se trouvant en déphasage avec la réalité de la Corse. »
Pas « d’amalgame », donc, à faire avec les organisations criminelles contre qui la lutte est la priorité. Ceci alors que la « réalité Corse » actuelle est, selon lui comme pour la majorité politique de l’assemblée exécutive dirigée par Gilles Siméoni, celle de la « main tendue » de l’Etat.
« Tout ce qui génère du chaos favorise les mafieux »
Il n’empêche qu’un GCC venant gonfler les rangs des 25 bandes criminelles qui sévissent déjà sur l’île est de nature à s’ajouter aux perturbations déjà engendrées par le « lobbying mafieux » dans la mise en place du processus politique d’autonomie. « Tout ce qui génère du chaos favorise les mafieux », estime Léo Battesti. Celui qui a appelé dès 1992 à l’autodissolution d’un FLNC en proie aux luttes intestines rappelle que le gang de la Brise de Mer, l’une des organisations criminelles les plus puissantes de l’île, « a pu se développer pendant vingt ans parce que les forces de répressions étaient focalisées sur le FLNC ». « Et tant que les mafias seront là, on ne pourra pas passer à l’autonomie », lâche encore Léo Battesti.
En Corse, les mafias ont essaimé dans nombre de secteurs d’activités économiques, y compris légaux. Après les stups, les extorsions de fonds et les cercles de jeux, l’ombre de ces groupes criminels plane aujourd’hui sur le BTP, la gestion des déchets, les appels d’offres et… le football. Preuve en est cette semaine avec le procès de deux anciens dirigeants du Gazelec Ajaccio.
Vers un Code pénal à l’italienne ?
Pour tenter de trouver des solutions contre cette emprise et de s’organiser pour avancer sur le chemin de l’autonomie, l’assemblée exécutive de Corse a lancé cinq commissions de lutte contre les phénomènes mafieux. Des membres des collectifs antimafia Maffia Nó et Massimu Susini – du nom de ce jeune assassiné à Cargèse en 2019 – y participeront. « On est en train de briser l’omerta, estime Léo Battesti. L’idée est de pouvoir faire remonter des propositions et de notamment parvenir à faire évoluer le Code pénal qui doit s’adapter à cette criminalité. » Une adaptation qui prendrait exemple sur la législation italienne, l’une des plus avancées et répressives d’Europe en matière de lutte contre les mafias.
De leur côté, en plus d’avoir « fiché » chacune des bandes criminelles, retracé leurs historiques, leurs secteurs d’activité de prédilections et leurs liens d’amitié ou de rivalités, la police judiciaire a ouvert en 2019 une adresse mail pour recueillir les témoignages de personnes ou d’entrepreneurs victimes d’extorsions de fonds ou de racket, que ce soit en Corse, ou du côté d’Aix-en-Provence et de Marseille. Là, où certaines de ces bandes criminelles déploient également leurs influences.
De l’importance de Charles Pieri
Reste que le processus vers l’autonomie se retrouve à composer également avec la nouvelle donne politique sortie des urnes à l’issue des élections régionales de 2021. Celles-ci ont vu la fin de l’alliance entre nationalistes et indépendantistes d’un côté et autonomistes de l’autre qui avait permis à Gilles Siméoni d’accéder au pouvoir en 2015.
Si la fin de cette alliance paraît simplifier les choses dans l’assemblée exécutive, sur le terrain corse, elle tend plutôt les relations. D’autant plus depuis les arrestations effectuées dans le milieu nationaliste et l’incarcération de Charles Pieri en décembre qui peut aussi avoir eu pour effet de souffler sur les braises nationalistes.
L’influence « difficilement quantifiable » de l’ex-chef du FLNC « semble représenter un frein dans les négociations entre l’Etat et la collectivité de Corse », notaient déjà en mars 2022 les renseignements policiers dans ce fameux document consacré aux « 25 équipes criminelles », auquel 20 Minutes a eu accès. Et c’était compter sans le GCC qui, dans son communiqué, réclamait, mardi, la libération de cet acteur majeur du parti Corsica Libera.