Tous les mardis soir, BX2AN vient s’asseoir au bord de la rivière Xindian. Il reste là, immobile ; seuls son pouce et son majeur tapotent deux petits palets métalliques, qui émettent un son à chaque frappe. Du côté droit, c’est un ti, c’est-à-dire un point ; du côté gauche, un ta, c’est-à-dire un trait, le tout formant les éléments de base de l’alphabet morse.

“Il y a quelqu’un ?” tape-t-il. Les réponses arrivent par à-coups du Japon, puis de Grèce et de Bulgarie. À chaque fois, BX2AN, comme on l’appelle sur les ondes radio, note une série de chiffres et de lettres (des indicatifs, des noms, des dates ou des lieux). Puis il tourne un bouton noir pour arriver à la bonne position sur son boîtier émetteur-récepteur, dont les écrans émettent une lueur jaune dans l’obscurité.

C’est bien le bon réglage, cela ne fait aucun doute. Cet indicatif d’appel unique est marqué sur le devant de sa station radio noire, griffonné à l’aide d’un marqueur indélébile fatigué sur sa tasse de voyage, et gravé sur une plaque sur le tableau de bord de sa voiture. Sur le côté de son bloc-notes, BX2AN, a-t-il encore écrit machinalement.

Dans le monde ordinaire, il s’appelle de son vrai nom Lee Jiann-shing. À 71 ans, cet ancien propriétaire de boulangerie à la retraite, marié, père de cinq enfants et grand-père de huit petits-enfants, est un radioamateur passionné depuis trente ans. Chaque semaine, il est toujours le premier à ce rendez-vous que se donnent régulièrement les radioamateurs de Taipei.

Avec des “ti” et des “ta”, on refait le monde

Ils se réunissent sur la pelouse d’un petit terrain de camping à la frontière sud de la ville. C’est là que M. Lee écoute les ondes radio au coucher du soleil, penché sur son poste à l’arrière de sa camionnette. Il ne parle pas beaucoup ; il préfère communiquer avec des ti et des ta. À 20 h 30, il a déjà correspondu avec six autres opérateurs dans différents pays.

U-R-N-A-M-E [“ton nom ?”], demande-t-il à un contact en Bulgarie. G-E-K, répond l’opérateur, en précisant un emplacement : S-O-F-I-A. En retour, M. Lee tape L-E-E, et le nom de sa ville.

Alors que de nouveaux membres de la Société des radioamateurs de la république de Chine (CTARL, Chinese Taipei Amateur Radio League) arrivent au compte-gouttes, deux autres opérateurs installent leurs stations à quelques mètres de là. L’un d’eux se met à tapoter, comme M. Lee, tandis qu’un autre préfère utiliser un émetteur vocal portatif pour capter les bribes d’une conversation de l’autre côté du détroit de Taïwan [en Chine populaire].

À l’ère des smartphones et des MP, la radio amateur est devenue un passe-temps réservé à quelques passionnés à Taïwan. Beaucoup ont plus de 50 ans, comme M. Lee ; ils aiment bidouiller des appareils électroniques, échanger des cartes postales avec de nouveaux contacts, et c’est à celui qui se connectera à l’endroit le plus éloigné.

Messages longue distance

Mais la radio amateur pourrait bien dépasser le stade du simple passe-temps agréable. En effet, devant l’agressivité militaire croissante de son voisin beaucoup plus puissant, l’île autonome de fait, située à une centaine de kilomètres à l’est de la Chine, envisage différents scénarios de conflit armé. Or, en cas de destruction des antennes-relais du service de téléphonie mobile, et de coupure des câbles Internet, la capacité des fréquences radio à ondes courtes à transmettre des messages longue distance pourrait devenir cruciale pour les civils comme pour les militaires.

C’est au début du XXe siècle et à partir des États-Unis qu’un engouement est né pour l’utilisation à des fins récréatives des radios sans fil, qui transmettent et reçoivent des messages via des signaux électromagnétiques.

Les opérateurs radio amateurs privilégient l’emploi des hautes fréquences radio, une catégorie fondée sur le nombre d’oscillations des on