
Fabien Roussel, le secrétaire général du Parti communiste français (PCF), avait lancé l’appel. « Après de nombreux coups de téléphone de maires », il avait clairement demandé aux édiles d’être « solidaires » et de fermer symboliquement leur mairie :
Il a été entendu, un peu partout en France. Des mairies, « plusieurs centaines », selon Fabien Roussel, resteront donc portes closes une partie de la journée, ce mardi 31 janvier 2023, lors de cette nouvelle journée de grève interprofessionnelle contre la réforme des retraites portée par le gouvernement d’Emmanuel Macron.
Mais que dit la loi ? En ont-elles le droit ? actu.fr fait le point.
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Principe d’accès au service public
En toile de fond de ce débat, notamment, l’atteinte au principe de continuité du service public, ainsi qu’au principe d’accès au service public. Les maires ne sont pas salariés (ils touchent une indemnité en fonction du nombre d’habitants de leur commune) et ne peuvent donc pas faire grève à proprement parler.
En revanche, les personnels, salariés, ont eux le droit constitutionnel de faire grève. Si un maire choisit de fermer sa mairie, il se doit en revanche d’assurer certains services essentiels, à l’instar de l’état civil. L’édile doit également assurer les services d’urgence et prendre en charge d’éventuelles grandes catastrophes, comme le relogement de personnes en cas d’incendie par exemple.
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Un problème de « neutralité »
Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a estimé, sans se pencher sur le droit, vendredi 27 janvier 2023, que la fermeture symbolique de mairies ce mardi 31 janvier par solidarité avec la mobilisation contre la réforme des retraites posait un problème de « neutralité », considérant que les citoyens ne devaient pas pâtir de « l’engagement politique » de leur maire.
« C’est une vraie question politique, en termes de neutralité et de respect des convictions des concitoyens, des administrés qui, pour certains, sont opposés (à la réforme), et d’autres sont favorables. »
Le ministre a écarté l’aspect légal, évoquant plutôt un problème « moral ou politique ». Il a taclé la maire (PS) de Paris Anne Hidalgo au passage, l’accusant de confondre « les services municipaux avec une annexe » du Parti socialiste…
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Des recours par le passé
Dans les faits, ces fermetures pourraient donner lieu à des recours devant les tribunaux administratifs. Mais y en aura-t-il ? Un précédent existe : la décision du maire de Grenoble (Isère) d’organiser, le 25 novembre 2015, une journée sans services publics afin de dénoncer la baisse des dotations budgétaires de l’État. Elle avait été annulée trois ans plus tard par la cour administrative d’appel de Lyon (Rhône), s’était félicitée l’opposition, qui avait déposé un recours.
En décidant de fermer au public l’accès aux services municipaux et au centre communal d’action sociale […], le maire de Grenoble, même s’il entendait ainsi sensibiliser les usagers à la situation financière de la ville, a pris part à un mouvement national, de nature politique, contre la baisse des dotations de l’État décidée par le gouvernement. Un tel motif, étranger à l’intérêt de la commune ou au bon fonctionnement des services municipaux, est de nature à entacher cette décision d’illégalité.
« La collectivité publique est là pour nous rassembler, pas pour nous diviser »
L’avocat en droit public, Éric Landot, s’est penché sur la question. Et résume ainsi le débat pour actu.fr : « Les messages politiques ou syndicaux aux frontons des mairies, c’est non, jamais. Les aides aux familles de grévistes ou autres actions sociales : c’est oui, mais avec prudence. La fermeture d’une mairie parce que le nombre de grévistes conduit à ce que ce soit la moins mauvaise des solutions : oui pourquoi pas, si la communication municipale ne conduit pas à invalider à l’évidence ce motif en tant qu’il fonde cette décision. La fermeture militante : c’est non. Jamais. »
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S’agissant des affichages aux frontons des mairies, le droit est clair et conforme au fait que la collectivité publique est une figure symbolique qui est là « pour nous rassembler, pas pour nous diviser », insiste l’avocat, citant un arrêt du Conseil d’État de 2005.
Pour le reste, en matière de grèves ou de litiges politiques, la mairie peut s’investir dans les aides sociales aux personnes (familles de grévistes par exemple), mais pas entrer dans le combat politique lui-même. Une commune peut soutenir un festival ou une conférence, mais pas si ces événements glissent vers la manifestation politique, même feutrée, nimbée d’intellectualisme.
Même certains éditoriaux de maires ou des jumelages ont pu être censurés à ce titre, argumente-t-il, citant de nombreuses jurisprudences sur son blog.
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Une annulation… dans un ou deux ans
Selon l’avocat, ces communes fermées ce mardi, s’exposent donc à une annulation (mais dans un an ou deux) de la décision consistant à avoir pris la décision de fermer la mairie ou d’avoir affiché une banderole.
« Un usager gêné par cette fermeture pourrait demander indemnisation dans certains cas en cas de préjudice direct et certain résultat de cette fermeture illégale… mais ce qui est de peu d’effet tant que les services publics vitaux restent opérationnels », résume-t-il.
En résumé, c’est illégal, les élus prennent un vrai risque, mais il y a peu de chances que les mairies puissent être attaquées, ou condamnées.
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Ces élus qui assument la fermeture
À Paris, Anne Hidalgo a annoncé que « l’Hôtel de ville de Paris sera “mairie solidaire” le 31, en solidarité avec le mouvement social », car « la situation est beaucoup trop grave ». Le bâtiment en tant que tel sera donc fermé au public. Mais l’état-civil sera maintenu, explique actu Paris. Dans le Val-de-Marne, plusieurs maires ont aussi pris cette décision, comme Villejuif raconte actu Val-de-Marne.
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Le maire de Chauvigné, près de Fougères (Ille-et-Vilaine), fera de même, même si la mesure sera symbolique car la mairie aurait de toute façon été fermée, étant tenue par une seule personne… gréviste, rapporte La Chronique Républicaine. Les habitants de Chauvigné auront la possibilité d’appeler le maire sur son portable : « un panneau va être apposé à l’entrée de la mairie pour l’indiquer », annonce l’édile.
Le maire LFI de Faches-Thumesnil (Nord), Patrick Proisy, est de son côté allé plus loin. Il a annoncé sur Twitter que les heures de grève des agents de sa ville ne seraient pas décomptées à partir de 14 h, « afin qu’ils puissent se rendre l’après-midi à la manifestation à Lille ».
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Même démarche à L’Union, au nord de Toulouse (Haute-Garonne), où le maire, Marc Péré, assure, auprès actu Toulouse, offrir une demi-journée de congés, sans retenue de salaire, pour permettre aux agents municipaux de participer à la manifestation.