Dans le monde des courses hippiques, le docteur Uson n’est pas un inconnu. Pendant longtemps nombre d’entraîneurs s’arrachaient son savoir. Mais il y a presque un an, une gigantesque opération de police dans le monde des courses de chevaux lui a apporté un surcroît de renommée. Une vingtaine d’acteurs majeurs du secteur étaient simultanément interpellés et placés en garde à vue, soupçonnés de dopage. Instruite à Bordeaux, l’affaire a déjà donné lieu à plus d’une dizaine de mises en examen (tous contestent avoir participé à du dopage). Dont celle de Diego Uson, notamment pour escroquerie en bande organisée, importation de produits dopants, complicité de dopage…
Soigné en Espagne
Concernant Kuko, l’instance disciplinaire de France Galop, la société organisatrice des courses de chevaux, a prononcé une peine de 6000 euros d’amende et six mois de suspension contre son entraîneur. Mais avec sursis. Rien ne l’empêchait donc d’aligner le cheval à Pau. Quant à Diego Uson, il est soumis depuis sa mise en examen à un contrôle judiciaire lui interdisant d’exercer en France. Mais Kuko et Diego sont espagnols. Et les piqûres ont été réalisées de l’autre côté de la frontière…
À Pau, dès 2020, les incursions de l’élégant docteur Uson font jaser. Et certains propriétaires ou vétérinaires redoutent que les brusques succès de certains animaux passés entre ses mains ne soient dus à des pratiques douteuses. Dans une pétition, ils dénoncent notamment le fait que Diego Uson n’a aucune autorisation pour exercer en France (il l’obtiendra en mai 2020).
« Il y a eu de la jalousie de la part de vétérinaires qui redoutaient de voir une lucrative clientèle leur échapper », soupire Me Pierre Lété, l’avocat de l’Espagnol qui affirme que seule une erreur sur un délai de prescription avait épargné aux pétitionnaires un procès en diffamation. « Il y avait les pros et les anti Uson. » Et de déplorer que le soutien qui avait entouré son client se fasse plus discret.
En juillet 2020, à Cambo-les-Bains, Diego Uson est contrôlé par les douanes. Dans sa voiture, plus de 300 médicaments. Beaucoup n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché en France. Une procédure est ouverte à Bayonne.
Quelques mois plus tard, un colis de cigarettes de contrebande arrivé à l’hippodrome de la Teste-de-Buch (33) relance l’affaire. Sur place, les langues se délient. On pointe que des colis étranges adressés à l’écurie Sagara, gérée par la famille Gabeur, ne contiennent pas que des cigarettes. Les questions vont bon train. Comment, par exemple, un cheval quasiment infirme a-t-il pu remporter une course, si ce n’est à grand renfort d’infiltrations ?
« Il voit des éléphants roses »
Baptisé « Horse connexion » par les enquêteurs du service des courses et jeux de la PJ, le dossier va générer des kilomètres d’écoutes téléphoniques sur des dizaines de protagonistes. Celles-ci révèleraient la circulation massive d’une pharmacopée douteuse : hemo15 (contenant du gluconate de cobalt, il est interdit en France), DMSO (un solvant présentant des propriétés anti-inflammatoires), acide hyaluronique (utilisé en infiltrations), Sarablock (utilisé en infiltrations, interdit en France), Carbesia (un antiprotozoaire dont l’utilisation est réglementée)…
« Aucun produit dopant n’a été découvert au sein de l’écurie Sagara », pointe Me Jean Gonthier, l’avocat des Gabeur. Reste que la règle impose des délais entre la prise de certains médicaments et le jour de la course. « Si les entraîneurs ne respectent pas les délais, mon client n’y est pour rien », glisse Me Lété, résumant la défense de la plupart des vétérinaires cités dans le dossier.
Les enquêteurs cherchent à remonter d’éventuelles filières d’approvisionnement en Espagne, mais aussi en Italie et à Malte, où un homme d’affaires a lui aussi été mis en examen. Tout comme les entraîneurs Sophie Blanchetiere et Yannick-Alain Briand dans le Sud-Est (ils ont vu récemment leur contrôle judiciaire allégé). À leurs côtés, des vétérinaires français comme Bertrand Franquet ou un certain Michel Crommer (1). Ce pharmacien de région parisienne avait monté son propre laboratoire. Au téléphone, les policiers l’entendent badiner avec un entraîneur au sujet de son Top Quiet, un complément alimentaire qui n’est pas classé comme dopant. Mais à l’effet spectaculaire, semble-t-il. « Ça mobilise les forces car le cheval ne cherche pas à se battre. Mais il voit des éléphants roses maintenant. »
Frontière entre « le soin et le dopage »
Les écoutes suffisent rarement à établir des vérités judiciaires, rappelle Me Gonthier, estimant que dans ce dossier, l’enjeu sera d’établir la frontière entre « le soin et le dopage ». La crudité de certaines conversations interroge toutefois les motifs d’une recherche permanente de nouveaux produits. « Avec tout ce qu’on lui a mis dans la gueule, le DMSO, tout ça, il a des infiltrations de partout au cul. Il doit voler le cheval. Et là, il est rôti… », s’étrangle Luc Gabeur au téléphone avec son fils.
À Mont-de-Marsan, les enquêteurs ont retrouvé la trace de Diego Uson. Jean-Laurent Dubord, n’a pas eu, au contraire de certains de ses confrères, le réflexe de crypter ses conversations téléphoniques. « Si j’étais multimillionnaire, putain de merde, je te ferais venir tous les jours », lance-t-il à son vétérinaire. Et lorsqu’il cherche à convaincre un autre vétérinaire de faire une infiltration de corticoïdes tardive à un cheval : « Bon, mon vétérinaire, il s’appelle Diego Uson. Bon, ça arrive qu’il m’infiltre les chevaux trois, quatre jours avant les courses hein ».
En garde à vue, l’homme se serait montré plutôt bavard. « Devant le juge d’instruction, il a toujours contesté avoir donné des produits stupéfiants à des chevaux. Depuis un an, la preuve du contraire n’a pas été faite », relève son avocat Me Pierre Blazy, concédant toutefois que « suivant les instructions de son vétérinaire », il a pu donner à son cheval « des produits légaux, mais dans des délais interdits ».
L’affaire Horse connexion est loin d’être achevée. Si son ampleur était confirmée, elle pourrait faire date dans un milieu déjà secoué par plusieurs affaires judiciaires concernant des pratiques de dopage. De quoi bousculer un secteur qui a généré près de 10 milliards d’euros de paris en 2021.
(1) Sollicitée, son avocate n’a pas donné suite
Soupçons de dopage équin : les affaires en cours
Depuis 2020, le dopage équin est un délit passible de cinq ans de prison. Quelques mois après la promulgation de la loi, des affaires ont commencé à éclore, éclaboussant de grands noms de la filière. Ainsi en décembre 2021, une quinzaine de personnes ont été interpellées, notamment dans les Bouches-du-Rhône. Était notamment visée, la famille Rossi, établie à Calas, près de Marseille. A la tête d’une écurie de 110 chevaux, Frédéric Rossi totalisait 2,5 millions de gains en 2021 (son frère présidait la Société des courses de Marseille, il en a démissionné). Il a été mis en examen en compagnie de ses deux neveux. En mars 2021, c’est à Chantilly que les enquêteurs du Service central des courses et jeux posent leurs valises. Autre grand nom mis en examen, avec cinq autres personnes, l’entraîneur Andrea Marcialis. En 2020, l’homme avait été surpris une première fois une seringue à la main avant une course ! Suspendu par France Galop, il a fait appel de la décision disciplinaire en attendant la fin de l’enquête pénale. Comme toutes les personnes mises en examen dans ces dossiers, il bénéficie de la présomption d’innocence.