
« Les nuits sont très courtes. On ne sait pas comment on va faire, si on va s’en sortir. » Visages fatigués, traits tirés, Noëlle et Jean-Michel Aurégan, boulangers à Luitré, près de Fougères (Ille-et-Vilaine) peinent à dissimuler leur désarroi.
La facture qui hante leur sommeil est arrivée par courrier, « juste avant les fêtes ». 7113 € d’électricité pour trois semaines, « ce qui ferait près de 10 000 € pour un mois », calcule Jean-Michel, abasourdi par ce montant : « Jusqu’ici, on payait environ 800€ ».
À leurs yeux, rien ne justifie cette hausse astronomique : « Le four est neuf et notre consommation la même qu’avant. »
La raison vient d’ailleurs : leur fournisseur, Total énergie*, facture le kilowattheure à 2,66 € pour les heures pleines en hiver, un montant 26 fois supérieur au mois précédent (0,998). Idem pour les heures creuses (de 0,059 3 € à 1,42 €). Vertigineux.
À lire aussi
- Énergie : la colère froide d’un patron d’hôtel du pays de Fougères
Résiliation quasi impossible
Noëlle et Jean-Michel Aurégan ont dû souscrire leur abonnement en octobre. Ils ont signé chez Total énergie, au tarif non réglementé, « sans savoir à quoi ça correspond » et surtout « sans s’imaginer les conséquences » :
On avait confiance. On s’attendait à une augmentation, d’environ 15 %. Ça nous aurait fait mal, mais on aurait pu l’encaisser. Mais là, on ne peut rien faire
À la réception de la facture, ils ont évidemment tenté de joindre leur opérateur. Sans effet. « On ne nous a pas donné d’explication à part que ce serait sûrement pire le mois prochain », raconte Jean-Michel qui a essayé de changer de fournisseur. « Impossible, on est lié pour douze mois ».
À moins de résilier « ce qui nous coûtera 75 % de la facture annuelle… » Inenvisageable.

« Si on paye, c’est la banqueroute assurée »
Le couple se retrouve le couteau sous la gorge. Il a donc décidé de ne pas payer la totalité de la facture. Les commerçants ont versé un acompte de 1000 €, agrémenté d’un courrier demandant des explications. Sans réponse à ce jour.
Ils craignent désormais la coupure. Et donc la fin de leur activité car dans la boulangerie, « l’électricité est essentielle du laboratoire au magasin ».
Si on paye, c’est la banqueroute assurée. Au tarif qu’ils appliquent, ça fera 120 000 € pour un an ! 70 % de notre chiffre d’affaires ! C’est injouable.
Et il refuse d’augmenter les prix en magasin. « Ce n’est pas au client de payer. D’autant qu’on a déjà procédé à une hausse en fin d’année pour amortir celle des tarifs des matières premières (NDLR : beurre +30 %, sucre et levure +70 %) ».
« Sauvons nos boulangeries »
A l’instar de Noëlle et Jean-Michel Aurégan, de nombreux boulangers pâtissiers connaissent d’énormes difficultés à cause de la hausse des prix de l’énergie. Louis Pautrel, président de l’Association des Maires Ruraux (AMR35) d’Ille-et-Vilaine et maire de Le Ferré lance un appel à l’État. « De nombreux maires ruraux alertent notre association sur la situation très inquiétante des boulangers-pâtissiers et d’un danger imminent de fermeture de ces commerces de proximité ». Il ajoute : « Après l’augmentation significative du coût des matières premières, +15 % pour les œufs et la farine, jusqu’à +100 % pour la levure (…), un certain nombre d’artisans en difficulté ont des inquiétudes sur la continuité de leur activité. Aujourd’hui, ils sont frappés par un nouveau coup dur avec l’augmentation considérable des coûts de l’énergie que beaucoup ne supporteront pas si l’État n’agit pas. » Le président de l’Association des maires ruraux 35 poursuit son argumentaire : « Les boulangers-pâtissiers peuvent bénéficier uniquement de l’amortisseur électrique, seulement ils sont exclus du bouclier tarifaire qui limite l’augmentation du prix à 15 %, car le plafond fixé par l’État limite la puissance électrique à 36 kilovoltampères, entre la chambre froide et le four. Cette puissance est évidemment largement dépassée ! » Louis Pautrel lance un appel : « Il faut sauver nos boulangeries dans nos communes rurales. Elles sont souvent les derniers commerces de proximité, et jouent un rôle bien supérieur : elles sont l’âme d’un village et permettent ce lien social primordial « . Et l’élu conclut : « L’État doit impérativement leur permettre de prétendre au bouclier tarifaire, et ce sans conditions de puissance et consommation. L’association des maires ruraux d’Ille-et-Vilaine (AMR35) en lien avec l’association nationale (AMRF) vient d’interpeller l’État dans ce sens. »
Député, médiateur de l’énergie
Avisée des déboires des seuls boulangers de la commune, la municipalité, qui vient de financer les travaux de modernisation du laboratoire, du magasin et du logement, les soutient, évidemment. « C’est de la folie ce qui leur arrive. On se mobilise pour essayer de trouver des solutions et les sortir de là », assure le maire, Michel Balluais.
Il a entamé des actions politiques, via le député. De son côté, leur comptable envisage de saisir le médiateur de l’énergie.
Noëlle et Jean-Michel Aurégan ont repris la boulangerie de Luitré en août 2018. « Jusqu’ici, tout allait bien. C’est un commerce qui tourne. »
Après une longue carrière, le couple pensait que ce serait sa dernière affaire. Il se voyait partir à la retraite en cédant le fonds d’ici quelques années. « On ne sait même pas si on va passer le trimestre ».