
Le film L’Appât, de Bertrand Tavernier, était basé sur un fait-divers. C’est un remake qui a été jugé, ce lundi 9 janvier 2023, devant le tribunal correctionnel de Caen (Calvados). Dans le rôle de Marie Gillain, c’est la jeune Sandra* qui était appelée à la barre. Haute comme trois pommes, elle fait à peine ses 18 ans. Avec une amie, mineure, elle aurait servi d’appât pour attirer des hommes dans des traquenards. Là, Steven* et Yann*, deux de leurs copains âgés de 18 et 19 ans, les frappaient et les dépouillaient de leur argent. Deux autres jeunes, mineurs, étaient également présents. Ils seront jugés ultérieurement devant le tribunal pour enfants. L’un d’eux a même été placé en détention provisoire.
Ils se présentent comme des “justiciers”
C’est ce qu’il s’est passé jeudi 5 janvier 2023. À deux reprises. Une première fois à Caen, derrière un gymnase situé à proximité du lycée Victor-Lépine, vers 14h. La deuxième fois, à Hérouville Saint-Clair, en deux temps.
Les six amis avaient mis au point un stratagème pour entrer en contact avec des hommes : Steven avait créé un profil sur le site de rencontre Coco, spécialisé dans les relations sexuelles tarifiées. Il se faisait passer pour une jeune femme, de 17 ans d’abord, majeure ensuite. Il attendait que des clients lui proposent un rendez-vous. “Je voulais les humilier car ils ne respectent pas les femmes, a-t-il tenté de se justifier, à l’audience. L’argent n’était pas mon but premier, on voulait faire justice nous-mêmes”. “On ne fait pas ça à des mineures, a embrayé Yann. Quand j’étais petit, j’ai été victime d’abus dans le foyer où je vivais…”
À Caen, ils auraient tabassé un homme et lui auraient volé 120 euros, sous la menace d’un couteau suisse. Steven et Yann se sont partagés 100 euros et ont donné 10 euros à la mineure, en rétribution. “Sandra a refusé cet ‘argent sale’ ”, a souligné son avocate, Me Mokhefi. Cette agression sera jugée ultérieurement.
« Dans ma voiture, au bord du canal »
Après cet épisode, Steven a reçu un message d’un nouveau client, sur le site Coco. “Il proposait 40 euros pour une fellation. On a décidé, tous ensemble, d’y aller”. Rendez-vous est pris au centre commercial du Val Saint-Clair. Sandra et sa copine doivent attirer l’homme d’une cinquantaine d’années à l’écart. Mais il aperçoit Steven et Yann et décide de s’en aller. Avant finalement de reprendre contact via le site de rencontres. “Ça se passe dans ma voiture. Rendez-vous au bord du canal”. Sur le parking de la discothèque Le Palais, où l’attendent Sandra et l’autre fille, les garçons lui tombent dessus aussitôt et commencent à le frapper. Ses lunettes volent dans la bagarre. L’homme réussit malgré tout à s’enfuir, en courant sur le chemin de hâlage, mais, n’y voyant goutte, finit par tomber dans le canal. Ce sont des cyclistes qui l’ont sorti de l’eau. Il s’en est tiré avec un jour d’incapacité de travail.
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Lors de l’enquête, les autres protagonistes ont livré une version différente. L’objectif était bien de récupérer de l’argent, selon eux. “Pour aller à la chicha”, précise Yann, devant les juges. C’est ce qu’a rappelé la procureure, Élodie Casanovas, dans ses réquisitions.
Ce sont des guets-apens. Dans lesquels chacun avait un rôle. Ils encourent tous jusqu’à 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende.
Elle n’est pas allée jusque-là, et a requis des peines de huit mois de prison avec sursis probatoire pour Sandra, et huit mois dont quatre avec sursis probatoire pour Yann, suggérant qu’il puisse purger la partie ferme de sa peine à domicile, avec un bracelet électronique. Pour ce qui concerne Steven, considéré comme le “cerveau” de l’histoire, le parquet a requis une peine d’un an de prison, dont six avec sursis probatoire. Elle a demandé son maintien en détention.
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Les avocats de la défense ont insisté sur les difficultés de vie rencontrées par leurs clients. “Steven ne s’est pas construit normalement, il a été élevé par sa grand-mère, qui est décédée quand il avait 15 ans”, a souligné Me Biville. Me Robert, l’avocate de Yann, s’est aussi étonnée qu’il n’ait jamais été entendu lors de sa garde à vue, avant d’être placé en détention provisoire. Me Mokhefi a quant à elle décrit une jeune fille “très influençable, victime de ses amis” et demandé une dispense de peine.
Le « cerveau » de la bande reste en prison
Le tribunal a finalement requalifié les faits reprochés à Sandra en « complicité ». La jeune fille a été condamnée à six mois de prison avec sursis simple et à une interdiction de port d’arme durant cinq ans. Yann, quant à lui, a écopé d’une peine d’un an de prison avec un sursis probatoire de deux ans, durant lequel il devra se soigner, travailler et indemniser la victime si celle-ci se constitue partie civile. Il aura aussi interdiction de porter une arme.
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Steven, enfin, a reçu la plus lourde condamnation : 14 mois de prison, dont sept avec un sursis probatoire de deux ans. Il devra respecter les mêmes obligations que Yann. Incarcéré à l’issue de sa garde à vue, le jeune homme a été maintenu en détention.
*Prénoms d’emprunt.