
« Monsieur le Commissaire Central de Toulouse, J’ai le regret de vous rendre compte de ce que la politique actuellement suivie par notre gouvernement n’étant pas conforme à mon Idéal, je ne saurais désormais servir avec fidélité. Je refuse – et sous mon entière responsabilité – de persécuter des israélites qui, à mon avis, ont droit au bonheur et à la vie, aussi bien que Monsieur Laval lui-même. Je refuse d’arracher, par la force, des ouvriers français à leur famille : j’estime qu’il ne nous appartient pas de déporter nos compatriotes et que tout Français qui se rend complice de cette infamie, se nommerait-il Philippe Pétain, agit en traître… ». Le commissaire Jean Phillipe (et non Philippe comme c’est souvent orthographié), refuse de livrer aux Allemands la liste des Juifs recensés dans le 7e arrondissement de Toulouse dont il a la charge et démissionne avec grand fracas de son poste dans cette lettre datée du 15 janvier 1943. La stupeur est totale dans les rangs vichystes.
Résistant dès 1940
Ce Lyonnais d’origine, ancien militaire, rentré dans la police à la fin des années 1930, s’est jusqu’alors parfaitement acquitté de ses tâches. Sous-lieutenant à Jeumont (Nord) puis au Creusot (Saône-et-Loire) avant-guerre, il est affecté après la débâcle à l’automne 1940 à Lourdes (Hautes-Pyrénées) comme commissaire, avant d’être muté un an plus tard dans la Ville rose. Dans le plus grand secret, parallèlement à ses fonctions, il intègre Sabot, un premier mouvement de résistance qui contribue au passage d’agents belges vers l’Espagne. « Ce spécialiste en faux papiers est par la suite contacté par Marie-Madeleine Fourcade, la cheffe du réseau de renseignements Alliance (dépendant de l’Intelligence Service, le service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni, avant d’être rattaché au Comité français de libération nationale).
Un martyr
Sous le pseudonyme de « Basset », il coordonne les actions de la région Toulouse-Pyrénées, et use de sa position officielle pour avertir les résistants des dangers encourus » explique Elerika Leroy, historienne au musée départemental de la Résistance et de la Déportation. Suite à l’imprudence d’un agent de liaison d’Alliance, Jean Phillipe est arrêté le 29 janvier à Beaumont-de-Lomagne où il s’était replié. De février à novembre, il est incarcéré à la prison militaire de Furgole et vit un véritable calvaire entre les mains du capitaine Retsek, le chef de la Gestapo de Toulouse, avant d’être transféré à Fresnes. Accusé d’espionnage au profit d’une puissance ennemie sous la classification « NN » (Nacht und Nebel, Nuit et Brouillard), il est déporté vers l’Allemagne à la prison de Karlsruhe puis à celle de Fribourg (Bade-Wurtemberg) avant d’être traduit devant le 3e Senat (chambre) du Tribunal de guerre qui le condamne à mort le 27 janvier 1944. Le 1er avril suivant, il est fusillé dans la forêt du Hardtwald avec 13 autres codétenus. En 1946, il est décoré à titre posthume de la Médaille de la Résistance avant de recevoir le titre de « Juste parmi les Nations » en 1997.
Mathieu Arnal