
« Il prend quatorze ans de prison et au bout de quelques mois, on le relâche. » C’est un mélange de dégoût, de colère et d’incompréhension. Amélie* fait partie des quatre parties civiles qui, le samedi 28 janvier, de 14 h à 16 h 30, sur la grande place de Beuzeville (Eure), organisent un rassemblement public de soutien aux femmes victimes de violences pour dénoncer la remise en liberté de Jean-Claude Gorzela, le 10 janvier dernier.
Condamné le 5 mai 2022 à 14 ans de réclusion criminelle avec mandat de dépôt, l’ancien gérant des établissements Pizza Manu situés à Beuzeville et Saint-Maclou, a été reconnu coupable de viol, d’agression et de harcèlement sexuel sur quatre anciennes employées, pour des faits commis entre 2015 et 2018.
Placé sous contrôle judiciaire
Le soulagement des plaignantes aura été de courte durée. Après avoir fait appel de sa condamnation en première instance, Jean-Claude Gorzela a adressé le 13 juillet 2022 une demande de mise en liberté à la chambre d’instruction de Rouen (Seine-Maritime) afin de préparer son second procès qui se déroulera du 12 au 15 juin prochains devant la cour d’appel d’assises de Seine-Maritime.
Sa demande a d’abord été rejetée. Niant depuis le début les faits qui lui sont reprochés, il saisit alors la Cour de cassation de Rouen qui casse cette décision. Le dossier est renvoyé une dernière fois à la chambre d’instruction de Caen en décembre 2022. Celle-ci confirme, le 10 janvier 2023, l’acceptation d’une remise en liberté de l’ancien gérant.
À lire aussi
- Les plaintes pour violences sexuelles hors du cadre familial en hausse de 24% en 2021
Sous contrôle judiciaire depuis le 10 janvier, il est actuellement placé sous assignation à résidence dans le Calvados, avec un certain nombre d’obligations à respecter comme l’interdiction de se rendre dans le département de l’Eure (sauf pour les besoins de sa défense) et de quitter le territoire national. Il doit également se présenter une fois par semaine au commissariat de Deauville et ne pas entrer en contact avec ses anciennes employées.
Une libération qui interroge les parties civiles
Mais les quatre femmes s’interrogent. Pourquoi la Cour de cassation a-t-elle cassé la décision de maintenir en détention Jean-Claude Gorzela ? Selon Maître Véronique Demillière-Badache, interrogée la semaine passée par l’Éveil de Pont-Audemer, avocate au barreau de Caen qui défend deux des quatre victimes dans cette affaire :
« La Cour d’appel de Rouen n’a pas suffisamment motivé sa décision de rejeter la décision de mise en liberté. »
Avant d’être condamné à 14 ans de prison, Jean-Claude Gorzela avait été placé en détention provisoire le 18 octobre 2018. Mais un an plus tard, le 31 octobre 2019, la chambre d’instruction avait ordonné sa mise en liberté. Il avait été assigné à résidence sous bracelet électronique.
Étant donné qu’avant son premier procès, il a respecté toutes ses obligations, qu’il s’est rendu aux convocations judiciaires, la Cour de cassation a estimé que rien ne s’opposait aujourd’hui à ce qu’il soit une nouvelle fois remis en liberté.
L’avocat de Jean-Claude Gorzela, Maître Robert Gastone, avait indiqué dans son mémoire que la demande de mise en liberté était légitime, car elle permettait à son client de préparer dans les meilleures conditions sa défense avant son procès en appel. Il ajoute qu’il n’y a pas de risque de pression de son client sur les victimes, ni de fuite compte tenu de ses attaches familiales, professionnelles et amicales en Normandie. L’Éveil a tenté la semaine passée de joindre Maître Gastone. Sans réussite.
« Une décision rare »
Avocat d’une autre victime, Maître Sylvain Naviaux reconnaît que cette mise en liberté est « une décision rare, notamment dans ce contexte de dénonciation des violences faites aux femmes dont on parle beaucoup aujourd’hui. »
Cette décision a choqué ma cliente. Lorsqu’elle l’a apprise, elle est allée immédiatement revoir son médecin. C’est une souffrance morale de savoir qu’il est dans les parages.
L’avocat souligne aussi que cette mise en liberté ne change en rien le fond du dossier. Mais compte tenu du procès en appel qui se tiendra en juin prochain, l’ancien gérant de pizzerias reste toujours présumé innocent.
* Prénom d’emprunt, car les anciennes employées n’ont pas souhaité mentionner leur identité.