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« Nécessaire » ou « dépolitisant », quelle place pour la fête en manif ?

De nos journalistes dans les cortèges de Paris, Nantes, Lyon et Marseille

Qui a dit qu’on ne pouvait protester en s’amusant ? La manif, c’est du sérieux, mais aussi des rires et des chants. A côté des merguez, des bières (avec modération) et des camions qui crachent de la musique, la fanfare, les déguisements et les slogans pleins d’humour sont des incontournables des mobilisations de rue. L’esprit de fête, c’est bon pour attirer le manifestant, surtout quand il fait froid et qu’on a le cœur déjà lourd d’inquiétudes. 20 Minutes a fait un tour de France des défilés contre la réforme des retraites de ce mardi pour voir comment ça s’ambiançait dans les cortèges et si cela comptait pour les manifestants.

« Allez, Eloïse, on l’encourage », crie Papyart, barbe et cheveux blancs, en blouse de travail orange et casquette New Era sur la tête, à Lyon. Cet artiste tient un stand de « sérigraphie politique » où « chacun peut venir imprimer lui-même sa pancarte de manifestation ». Aujourd’hui, il propose « Retraites légères, chars lourds » avec le logo d’un tank. « Les gens sont contents d’avoir ce moment ludique sur leur chemin. En plus, ils peuvent repartir avec leur pancarte. Faire du street-art, ça fait venir les gens. »

Plus loin, les gens dansent et tapent des mains avec des verres à la main et de larges sourires aux lèvres. Ils et elles écoutent le collectif « Fanfare à Manifs Engagée », un groupe d’une soixantaine de musiciens de toutes les fanfares de Lyon qui se réunissent pour les manifestations. « Les instruments donnent l’impression qu’on passe du bon temps alors qu’on est en contestation. Mais ce qui nous permet de vraiment passer un bon moment, c’est d’avoir l’impression qu’il y a du monde et qu’on est des milliers à se mobiliser contre cette réforme », observe Valentine, venue avec ses enfants.

« Difficile de faire durer un mouvement s’il est triste »

A Marseille, Edith, 66 ans, manifeste en tenue de carnaval. Une habitude chez cette toute jeune retraitée qui a « toujours participé aux mouvements sociaux ». Authentique masque vénitien sur le nez et un long drap de fantôme sur lequel elle espère ainsi « être vue pour être lue ». Pour Edith, son déguisement est une façon de « mettre de la joie » dans la manifestation. « C’est difficile d’entraîner les gens lorsqu’on est pessimiste », observe-t-elle. Même constat du côté de Maxime, la vingtaine, affilié à la CGT Mine-Energie-Enedis qui organise à Marseille des actions « Robin des bois » en passant les compteurs de gaz et d’électricité d’artisans et de particuliers en difficulté en mode « gratuit » ou à prix modique. Pour ce jeune travailleur, « l’ambiance participe à faire venir les gens. C’est important cette dimension festive et revendicative, sinon c’est une marche, plus une manifestation ».

Pour Gwenaëlle, 35 ans, chargée de projet et chanteuse de « Pastiche 51 », un groupe de musique qui s’est installé sur la plateforme d’une camionnette de chantier, « il est difficile de faire durer un mouvement s’il est triste. La joie militante est la meilleure énergie pour résister et le rire pour dénoncer. C’est d’autant plus important que les actualités sont assez moroses. »

Mais d’autres personnes interrogées par 20 Minutes ont plutôt rejeté le côté festif, ou ont semblé un peu tiraillées entre les deux, comme à Paris Micha, 61 ans, une ancienne secrétaire qui déambule avec des béquilles mais aussi des guêtres multicolores et des fleurs. « J’ai cumulé deux emplois après avoir été jetée dehors comme mes collègues par une boîte américaine qui nous a rachetés. J’ai retrouvé un emploi à mi-temps en Ehpad, mais ça ne suffisait pas. Donc j’ai pris un autre emploi. Mon pied a lâché de fatigue », explique-t-elle. « Je ne veux pas faire la fête en manif, je voudrais être avec mon petit-fils en train de faire des gâteaux. Mais ils ne nous prendront pas notre joie de vivre. Et notre cœur est en couleurs contre la noirceur de leurs actes. Et même en me traînant par terre, j’irai au combat pour pouvoir quitter ce monde les fesses propres et pouvoir regarder mes petits-enfants dans les yeux. »

« Concilier fête et radicalité »

« Ce n’est pas parce qu’il y a une buvette ou qu’ils aiment la musique que je passe que les manifestants viennent. Le premier moteur de leur venue, c’est de ne pas partir à 64 ans », explique aussi à Lyon Jean-Luc, à la buvette du camion CGT Jtekt. « L’aspect festif peut-être sympa, mais ce n’est pas une priorité. On n’est pas là pour la fête. Par exemple, je suis quelqu’un qui participe aux prides où beaucoup de gens viennent pour leur côté festif justement. Je trouve que ça dépolitise la manifestation », estime aussi à Marseille Chloé, 27 ans, intermittente du spectacle.

Justement, à Paris, les manifestants et manifestantes du « Pink Bloc », qui regroupe des associations et collectifs LGBTQI +, ne sont pas du tout de cet avis. « La communauté a vécu tellement de drames qu’en fait notre réponse a toujours été de dire : « On vous emmerde on fera la fête ». Une manif ce n’est pas la marche du dimanche, on se montre on ne fait pas semblant », estime Tarik des Inverti.es, un « collectif de trans pédés gouines » communistes. Pour motiver les troupes, ils ont posté en amont des mèmes complètement déjantés, qui ont « donné le ton » selon Tarik. Et les slogans ont du piquant : « La retraite à 20 ans, pour baiser il faut du temps ». « C’est le seul cortège que je connais qui concilie fête et radicalité », commente Clémence, étudiante en géographie de 23 ans. « Les moments festifs c’est nécessaire à la lutte politique, c’est comme ça qu’on construit du politique. Il faut trouver de la joie dans le militantisme, parce qu’on ne reviendra pas si c’est juste pour être des martyrs dans la souffrance. »

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