Qui a peur de l’article 7 sur les retraites ? L’Assemblée nationale débat depuis lundi du projet de loi du gouvernement. Mais après trois jours d’échanges hachés et tendus, les députés n’étaient toujours pas parvenus à la fin de l’article premier, qui prévoit l’extinction progressive des régimes spéciaux.
Or le chrono file : les débats en première lecture à l’Assemblée s’achèveront le vendredi 17 février à minuit, pour que le texte aille ensuite au Sénat. Les quelques jours restants ne seront probablement pas suffisants pour parvenir jusqu’à l’article 7, qui prévoit un recul progressif de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Mais l’absence de vote sur cette mesure emblématique, et tant décriée, pourrait arranger plus de monde qu’il n’y paraît…
Les insoumis pointés du doigt
« On a deux semaines de débats, on devrait donc avoir le temps d’aller jusqu’à l’article 7, il ne faut pas en avoir peur… », soufflait Laurent Marcangeli, député de Corse et patron du groupe Horizons, ce mardi au Palais-Bourbon. Dans son viseur : les députés de La France insoumise, qui ont déposé environ 13.000 amendements sur l’ensemble du projet de loi. « Il y a une volonté très claire de leur part de jouer l’obstruction parlementaire, avec des amendements absurdes voire contradictoires qui visent simplement à ne pas aller jusqu’au bout des débats », peste Sylvain Maillard, député de Paris et vice-président du groupe Renaissance.
« Les insoumis déblatèrent pendant des heures sur des amendements inutiles », abonde Erwan Balanant, député MoDem du Finistère. « Ils ont en réalité compris que le rapport de force n’était pas en leur faveur, qu’il y a une majorité pour cette réforme. Ils jouent donc l’évitement, pour pouvoir dire ensuite que la mesure des 64 ans n’a jamais été votée ».
Le soutien des élus Les Républicains, nécessaire pour avoir une majorité et faire passer le texte, est encore loin d’être trouvé. Mais si le report de l’âge légal était adopté dans l’Hémicycle sans « passage en force » du gouvernement, cela constituerait un coup dur pour les opposants au texte. Le député LFI Ugo Bernalicis le reconnaît à demi-mot : « Chaque jour qui passe est un jour de gagné pour la mobilisation. Et si à la fin, il n’y a pas de vote, ce sera un argument pour nous : cette loi n’aura pas eu l’assentiment de l’Assemblée nationale, elle n’aura pas cette légitimité »
« Le gouvernement a permis à LFI d’être le maître des horloges »
Mais du côté des insoumis, on renvoie surtout la balle vers l’exécutif, rappelant qu’il a fait seul le choix de faire passer sa réforme par un budget rectificatif de la Sécurité sociale, au temps parlementaire limité. Mathilde Panot a encore fustigé ce mardi à l’Assemblée le refus du gouvernement de faire siéger exceptionnellement les parlementaires samedi et dimanche. « C’est de nouveau une restriction du temps de débats […] c’est d’abord la responsabilité du gouvernement de vouloir passer en force ». La présidente du groupe LFI a évoqué une « stratégie de résistance parlementaire mouvante », laissant entendre que certains amendements pourraient être retirés afin d’avancer vers des points importants du texte, comme ce fameux âge de départ à 64 ans.
Pierre-Henri Dumont, député LR du Nord, raille la situation. « Le gouvernement s’est mis seul dans la nasse. En utilisant un véhicule législatif au temps contraint, il a donné aux insoumis l’opportunité d’être maîtres des horloges. En réalité, plus on avancera vers une position commune au sein de LR en faveur du texte, moins LFI retirera ses amendements, et donc moins on sera sûr d’avoir un vote ». Cette perspective pourrait toutefois contenter également la droite, qui peine tant à trouver une ligne commune sur le projet de loi. « Au sein du groupe, on reste très divisés. Le moins on vote, le mieux on se porte… », sourit un élu LR.
Alors que plusieurs élus macronistes ont fait état de leurs doutes sur le contenu du texte, l’absence de vote sur l’article 7, majoritairement rejeté dans l’opinion, pourrait faire des heureux aussi dans la majorité. Un député Renaissance ironise sur ces coups de billard à trois bandes : « Chaque camp se renvoie déjà la responsabilité de ne pas pouvoir en débattre ».