
Ce sont des tensions qui durent et qui interrogent. La pénurie de médicaments se fait de plus en plus pressante ces derniers mois avec d’abord le paracétamol, puis l’amoxicilline.
Si la triple épidémie hivernale (Covid-19, grippe et bronchiolite) a amplifié la demande, des causes plus profondes sont aussi responsables des difficultés d’approvisionnement en médicaments.
Une audition de Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ce mercredi 15 février 2023 au Sénat, a permis de comprendre un peu mieux les raisons de cette pénurie.
« C’est un sujet de préoccupation constante avec un nombre de tensions et de ruptures qui augmente de manière importante », a reconnu d’emblée la directrice.
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La pénurie touche l’Europe, voire le monde
Dans un premier temps, il convient de regarder la situation au-delà des frontières hexagonales. Et le constat est similaire en Europe, et même dans le monde.
Ces situations de tensions et de pénuries importantes (d’amoxicilline et de paracétamol ces derniers mois, NDLR) sont des situations vécues par les États membres de l’Union européenne, mais aussi au niveau international.
Avec une situation nationale spécifique, selon Christelle Ratignier-Carbonneil, « la France est une grosse consommatrice de médicaments avec un usage très important d’antibiotiques et de paracétamol au-delà de la moyenne des autres États européens ».
Qui dit grosse consommation dit plus forte sensibilité aux pénuries.
Davantage de signalements
Cette situation de manque est un phénomène qui a grandi depuis 2016, a rappelé la rapporteuse d’une commission d’enquête sénatoriale, Laurence Cohen.
« Si on regarde 2016, il y avait 600 signalements [de médicaments en tension, NDLR] et aujourd’hui c’est 3 500. Soit une multiplication par cinq : la crise n’est pas la seule responsable », assure la sénatrice.
Un constat confirmé par la directrice générale de l’ANSM, qui précise que « les évolutions législatives récurrentes ont requis des signalements le plus tôt possible de la part des industriels. »
Cela permet de donner du temps à l’ANSM pour baisser la tension et prendre des mesures pour amoindrir les conséquences pour les patients, ne pas désorganiser les soins.
Que se passe-t-il lorsqu’un produit est déclaré en tension ?
Quand un produit est déclaré en tension « les exportations par les grossistes répartiteurs sont coupées », rappelle Christelle Ratignier-Carbonneil. « Les stocks restent sur le territoire national pour couvrir les besoins des patients. Il y a aussi des recommandations que nous érigeons avec les professionnels de santé sur les usages », et la distribution des médicaments.
Toutefois, la directrice de l’ANSM juge que le système actuel est « un amortisseur, avec un stock de risque, mais qu’il faut aller plus loin pour répondre à ces situations et mieux les anticiper ».
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Reprise difficile post-Covid
Les chiffres énoncés par la directrice de l’ANSM expliquent aussi, en partie, les difficultés pour s’approvisionner.
« Pour l’amoxicilline, ce n’est pas le principe actif qui manque, mais bien la fabrication de la suspension buvable ou autre. En 2020/2021, il y a eu une baisse de 30 % de la consommation, mais en 2022 la demande a repris fortement et c’est la remobilisation des chaines de production qui a pris du temps, avec notamment la diminution des préparateurs », détaille Christelle Ratignier-Carbonneil.
Pour le Doliprane pédiatrique, très difficile à trouver, la directrice chiffre une hausse des ventes, passant de 1,9 million de flacons dispensés en décembre 2021 à 3 millions un an plus tard.
Cette reprise s’explique par le retour des pathologies hivernales (grippe et bronchiolite) et la 9e vague de Covid-19. « Il y a le poids de la triple épidémie. »
« Malgré la mobilisation des industriels, il y a une difficulté pour répondre très rapidement à la demande », constate Christelle Ratignier-Carbonneil.
Contacté par actu.fr, le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Pierre-Olivier Variot, pointe aussi un manque d’anticipation des industriels.
« Les stocks sont faits à n-1 ou n-2, ils devraient être faits en temps réel. En 2020 et 2021, il n’y pas eu de consommation (grâce au confinement et aux mesures barrière, NDLR) donc pas de sortie d’usine. Mais les industriels n’ont pas anticipé la reprise alors qu’en réalité la consommation de 2022 est plus faible que celle de 2019. »
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La difficulté des monopoles
La directrice a été interrogée par les sénateurs sur la question de la relocalisation de la production de médicaments, que les parlementaires jugent nécessaire et « urgente » afin de ne plus dépendre d’autres pays, Chine et Inde en tête.
Christelle Ratignier-Carbonneil a reconnu que la situation la plus délicate possible, « était celle du monopole (situation où une seule entreprise, possède un médicament précis, NDLR). Car quand il y a un incident, cela devient extrêmement compliqué. Il faut avoir des solutions de secours et qu’elles soient mobilisables. »
La relocalisation en France est un sujet qui peut être une partie de la réponse, pas uniquement. La maille européenne doit être importante
Elle a également rappelé que des projets d’extension de la production nationale de paracétamol sont en cours.
Le projet de relocalisation « est une bonne chose », se satisfait Pierre-Olivier Variot, le président de l’USPO. « Mais c’est un facteur beaucoup plus loin dans le temps. »
C’est un facteur qui permettra davantage d’indépendance pour la France sur la question des médicaments.
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Comment envisager la suite
Reste à savoir comment éviter de futures pénuries.
Le maître-mot pour éviter de nouvelles situations pénuriques est l’ »anticipation ». Car une fois les tensions avérées, l’ANSM peut prendre des mesures, comme pour l’amoxicilline et le paracétamol, mais se retrouve dans une situation délicate de gestion de stocks restreints.
Tandis qu’en anticipant la vulnérabilité, la situation pourra être appréhendée différemment. C’est en ce sens que le gouvernement a annoncé que, « d’ici à la fin du mois de mai, la liste des médicaments dits « critiques » car stratégiques pour la santé de nos concitoyens sera établie ».
Pierre-Olivier Variot se satisfait de la création de cette liste qu’il demande « plus pragmatique et plus complète ».
Cette liste serait croisée entre les médicaments indispensables et les difficultés rencontrées par les fournisseurs. Cela doit permettre de prendre des mesures adéquates en amont d’une nouvelle pénurie.