La plateforme EuroMomo est surveillée comme le lait sur le feu par les opposants à la vaccination, qui y cherchent la preuve que la vaccination antiCovid aurait tué massivement en Europe. Lancé en 2008, le projet EuroMomo, pour European mortality monitoring, est un outil de veille sanitaire auquel participe quelque 27 pays ou régions. I permet de surveiller la mortalité en Europe et d’observer des tendances sur la surmortalité, toutes causes confondues.
En France, depuis 2010, Santé publique France transmet ses indicateurs de mortalité chaque semaine à la plateforme EuroMomo, à partir d’un échantillon des bulletins d’état civil de décès.
Un graphique du site est régulièrement repris : il montre la surmortalité cumulée chez les 15-44 ans, chaque trait correspondant à une année, de 2018 jusqu’à 2022. Il est interprété pour indiquer qu’il y a une surmortalité en 2021 et 2022 et que celle-ci est supérieure à 2020, ce qui montrerait a minima l’inefficacité des vaccins anticovid ou que le vaccin anticovid aurait tué en grand nombre, ce que rien n’a prouvé jusqu’à présent.
En France, les vaccins contre le Covid-19 sont surveillés, depuis le début des campagnes de vaccination, par une enquête de pharmacovigilance de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Dans son point de situation en décembre 2022, l’ANSM indique que la majorité des effets indésirables sont attendus et non graves pour le vaccin de Pfizer, par exemple.
Nombre d’articles ont été consacrés par 20 Minutes et d’autres médias au sujet des effets secondaires des vaccins et d’interprétations erronées de données disponibles en ligne. Le site Vaccination-Info- service, conçu sous l’égide de Santé publique France, met à jour régulièrement les informations concernant les vaccins, l’évolution de leur efficacité face aux variants, les questions sur les effets secondaires, etc…
Le problème avec l’utilisation de ce graphique, c’est que c’est aller bien vite en besogne que de présumer la cause d’une surmortalité sans remettre en contexte les chiffres, qui concernent les décès toutes causes confondues, ni prendre en compte les appels à la prudence d’EuroMomo. Analyser les causes de décès prend du temps, expliquent instituts et chercheurs contactés par 20 Minutes.
FAKE OFF
EuroMomo fournit, chaque semaine, des données sur la surmortalité, c’est-à-dire l’écart de mortalité observé par rapport à un niveau attendu (la baseline qui apparaît en pointillé dans le graphique ci-dessus). Cette surmortalité est calculée à partir des données des pays partenaires d’EuroMomo fournies ces dernières années, pour tous âges et par tranches d’âge. EuroMomo est surtout connu pour son Z-score, un indicateur statistique qui permet de comparer les taux de mortalité entre les populations ou les périodes. Quand ce taux de mortalité est supérieur à 2, la hausse de mortalité dépasse significativement le nombre attendu.
Ainsi, en ce qui concerne les données françaises et la mortalité dans la tranche des 15-44 ans (pointé par les opposants à la vaccination), les effectifs observés en 2021 et 2022 fluctuent autour du nombre attendu de décès. « Il est observé ponctuellement des périodes avec des hausses de mortalité, avec un Z-score supérieur à 2, commente Santé publique France auprès de 20 Minutes. C’est par exemple le cas pour les semaines 24-2022, puis des semaines 28 et 29 de 2022. Or, ces semaines correspondent aux périodes des deux premières canicules, notamment la deuxième qui fut très intense. » Des travaux d’étude de Santé publique France sont en cours pour déterminer plus précisément les impacts sanitaires des vagues de canicule.
Une mise en garde spécifique
En outre, le site EuroMomo présente différentes cartes et graphiques. Une mise en garde spécifique concerne les graphiques de surmortalité cumulée, qui sont relayés sur les réseaux sociaux. « Les résultats cumulés de la surmortalité pour la période de la pandémie de Covid-19 peuvent ne pas être fiables, en raison de certains problèmes de modèle », explique ainsi EuroMomo. Dans son bulletin hebdomadaire, la plateforme précise qu’il faut être « très prudent » sur l’interprétation des données de surmortalité cumulée.
En effet, pour calculer sa ligne de référence (baseline), EuroMomo a exclu les données à partir de 2020, car le nombre excédentaire de décès cette année-là fausserait l’estimation de cette référence. Et cette pratique a continué, l’épidémie de Covid-19, et ses vagues, n’étant pas encore terminé. Cette exclusion de données dans la tendance projetée a introduit « un biais croissant dans le temps, ce qui peut entraîner des estimations erronées sur la surmortalité, en particulier lorsque les nombres sont cumulés. »
Les données françaises corrigées
Dans un point épidémio du 10 janvier 2023, Santé publique France explicite le problème rencontré : « Depuis mars 2020 et jusqu’au 6 janvier 2023, l’estimation du nombre attendu de décès toutes causes confondues par le modèle EuroMomo reposait sur les décès survenant sur les périodes de printemps et d’automne 2016 à 2019 et excluait systématiquement les données des années 2020-2022, compte tenu de la survenue émergente de la Covid-19. Toutefois, l’exclusion de cette période de 3 ans ne permet plus de bien prendre en compte la tendance du niveau général de la mortalité [comme les effets démographiques par exemple]. A partir de cette semaine, un réajustement de l’estimation du nombre attendu de décès sera effectué, en réintroduisant les périodes de printemps et d’automne des années 2020 et 2022, mais en maintenant une exclusion des périodes de survenue des vagues de Covid-19. L’impact de ce réajustement reste limité. » Cette correction concerne les données françaises.
Interrogé sur le poids de ce biais, Santé Public France précise qu’il est « difficile de savoir si le nombre attendu de décès en 2020-2022 est effectivement estimé avec un biais et de quantifier l’importance de ce biais ».
Des travaux de recherche en cours
Le constat de la surmortalité est réel, souligne, cependant, EuroMomo. En fonction des semaines, cela peut varier selon les tranches d’âges. A la fin de l’année 2022, une augmentation substantielle de la surmortalité a été notée chez les personnes âgées de 45 ans et plus en Europe.
La surmortalité se définit toujours comme « la différence entre le nombre de décès observé à un moment donné et le nombre de décès auquel on pouvait s’attendre en projetant les tendances passées », explique Elise Coudin, directrice du centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (CépiDc) de l’Inserm. Mais, « il y a toujours des modèles et des hypothèses sur la façon de projeter ces tendances passées et des biais arrivent lorsque ces hypothèses ne sont pas vérifiées », complète-t-elle.
Le Covid-19, troisième cause de décès en 2020
Pour l’année 2020, le CépiDc, Santé publique France et la Direction de la recherche, des études et de l’évaluation des statistiques (Drees) ont dressé un panorama des causes de décès, à partir du recueil exhaustif et de l’analyse des volets médicaux des certificats de décès. « Le Covid-19 est placé parmi les grandes causes de décès, principalement de personnes âgées, voire très âgées », souligne Elise Coudin.
L’épidémie de Covid-19 a directement causé le décès de 69.000 personnes en France (10,4 % des décès) en 2020, ce qui en fait la troisième cause de décès derrière les tumeurs et les maladies cardio-neurovasculaires, indique le panorama. Les données des causes de décès 2021 ne sont pas encore traitées, ajoute Elise Caudin, et le seront à la fin de l’année 2023.
En mars 2021, le rapport Pittet, chargé d’évaluer la réponse française à la crise du Covid-19 et qui pointe l’insuffisance du niveau de préparation, expliquait que la crise aura « un impact sanitaire « indirect » considérable et qui ne sera connu que dans les prochaines années » en France comme dans d’autres pays affectés par la pandémie. Pourquoi ? Car, « les déprogrammations hospitalières consécutives à la mobilisation de toutes les capacités pour soigner les patients atteints du virus ont conduit à des reports de diagnostics et de soins », notamment pour certains cancers, « pour lesquels les retards diagnostiques risquent d’entraîner une surmortalité ».
D’autres modèles statistiques
En France, plusieurs instituts étudient les questions de mortalité et de surmortalité et cherchent à les expliquer. L’Institut national d’études démographiques (Ined) a aussi construit une base de données sur la mortalité liée au Covid-19. « Elle est beaucoup plus détaillée, plus précise qu’EuroMomo », estime Jean-Marie Robine, directeur de recherche à l’Inserm et chercheur associé à l’Ined. Il se dit peu satisfait d’EuroMomo, qu’il trouve « très mal documenté ».
De son côté, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) s’est penché sur la hausse de la mortalité. Là aussi avec un modèle différent d’EuroMomo et de Santé publique France. « Les modèles, ce sont des représentations de ce qui pourrait se passer, détaille Sylvie Le Minez, responsable de l’unité des études démographiques et sociales à l’Insee. Cela peut être une force d’avoir plusieurs modélisations, ça permet de conforter les messages ou de s’interroger quand il y a des choses qui sont un peu différentes. »
Une surmortalité élevée en 2021
L’Insee s’appuie sur ses méthodes de projection de la population démographique. Pour la mortalité, cela passe par l’application d’un quotient de mortalité, c’est-à-dire la mesure de la probabilité pour les personnes survivantes à un âge (55 ans par exemple), de décéder avant l’âge suivant (56 ans). « Cela nous permet aussi de dire que, dans l’évolution des décès observés, tant de décès sont dus au vieillissement de la population », remarque-t-elle.
Dans une première analyse en mai 2022, l’Insee observait que, de mars 2020 à décembre 2021, les décès ont été nettement supérieurs à ceux attendus en l’absence d’épidémie de Covid-19, avec 95.000 décès de plus. La surmortalité reste élevée en 2021 (6,3 %, après 7,5 % en 2020). Pour la tranche des 35-74 ans, la surmortalité, déjà visible en 2020, s’accroît en 2021.
Selon Santé publique France, les décès à l’hôpital des moins de 75 ans liés au Covid-19 sont plus nombreux en 2021 qu’en 2020. « De plus, une baisse des décès évités et/ou une hausse des décès liés indirectement à l’épidémie (par exemple du fait du report d’opérations chirurgicales ou de la baisse des dépistages) pourraient également expliquer cette surmortalité plus élevée en 2021 », note l’Insee. D’autres facteurs entrent en compte en 2021, car la mortalité a été influencée à la fois à la baisse, notamment par la vaccination qui a réduit le taux de mortalité lié au Covid-19, et à la hausse (de nouveaux variants, un seul confinement en 2021…).
Plusieurs explications avancées par l’Insee
Enfin, dans son bilan démographique 2022 – selon des estimations réalisées fin novembre 2022 –, l’Insee a comptabilisé 667.000 décès en France en 2022, soit 5.000 de plus qu’en 2021. Leur nombre est à peine inférieur à celui de 2020 (-0,3 %), année marquée par le Covid-19 et nettement supérieur à celui de 2019 (+8,8 %). Plusieurs explications sont avancées face à cette mortalité élevée, dont le vieillissement de la population. L’arrivée des générations nombreuses du baby-boom à des âges plus avancés entraîne logiquement une hausse des décès depuis quelques années.
En outre, la pandémie s’est poursuivie en 2022 avec le variant Omicron, très contagieux, provoquant des morts supplémentaires. Une épidémie de grippe tardive, avec un pic en avril, et trois périodes de canicule ont également causé des pics de mortalité.