
« Je suis sûre que c’est quelque chose que je vais emporter avec moi dans la tombe. » Quelques années ont passé, mais Coralie* n’a rien oublié. De son propre aveu, il n’y a « presque pas un jour » où elle ne pense pas aux agressions sexuelles que lui a fait subir son oncle, pendant de longues années, dans les environs du Neubourg (Eure). Mais après des années de souffrances gardées pour elle, la jeune femme a fini par trouver la force de dénoncer ce qu’elle a subi. Passé devant le tribunal d’Évreux le jeudi 2 février 2023, son agresseur a été reconnu coupable et condamné à 36 mois de prison, dont la moitié avec sursis. Depuis, il dort en prison.
Des années de souffrance et de non-dits
« Ça a commencé quand j’avais à peu près 11 ou 12 ans. Peut-être avant… J’allais dormir chez lui parce que ma mère travaillait et il m’emmenait à l’école. Il vivait tout seul, car sa femme vivait sur Paris et son fils était en internat », confie Coralie. Les yeux embués de larmes qui ne coulent pas, la jeune femme aujourd’hui âgée de 28 ans semble revivre les faits et peine à trouver ses mots. Les détails douloureux de cette adolescence tronquée, elle continue de les garder pour elle.
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Ce n’est que récemment, plus de 10 ans après avoir coupé les ponts du jour au lendemain avec son bourreau, qu’elle a eu le déclic pour en parler. « En fait, c’est une dispute avec mon conjoint qui lui a vraiment mis la puce à l’oreille. J’ai essayé de nier, mais il avait déjà compris beaucoup de choses », poursuit-elle. Libératrice et violente émotionnellement, cette première prise de parole a eu le mérite de la soulager d’une partie du poids qu’elle portait sur les épaules et d’enclencher la machine judiciaire.
Une défense bancale
À la barre, devant le tribunal, le prévenu n’a pas cherché à nier les faits, mais il a essayé de les minimiser.
Il y a de l’exagération. En fait, elle me demandait de l’argent pour boire avec ses copains. Je lui en donnais et, en contrepartie, elle me masturbait. Je ne l’ai jamais forcée.
Une défense qui agace Coralie, qui n’a « jamais vu d’enfant proposer ce genre de marché à quelqu’un de plus de 50 ans » et le tribunal, qui a tenté à de multiples reprises de lui faire comprendre que ce genre « d’arrangement » conclu sous emprise en raison de la différence d’âge avait des répercussions importantes sur la vie de la victime.
« Très récemment, j’ai dû avouer à mon conjoint que je ne prenais pas de plaisir sexuellement, confie la jeune femme. C’est horrible à dire, mais si je masturbe mon conjoint, je ne peux pas m’empêcher de revoir ce qu’il s’est passé… » Même au-delà de sa vie sexuelle, son passé touche aussi sa vie de maman.
J’ai des frères et mon conjoint aussi, on leur fait confiance, mais je ne peux pas laisser mes enfants dormir seuls chez eux… Lui aussi, tout le monde le trouvait gentil et lui faisait confiance !
Libérer la parole des victimes
Heureusement, Coralie a vécu comme un véritable soulagement le fait d’être entendue et surtout crue par ses proches, puis par la justice. « J’avais vraiment peur, car, dans un sens, il n’y avait aucune preuve. C’était sa parole contre la mienne », précise-t-elle. Pendant l’audience, elle avoue qu’elle n’a pas réussi à regarder celui qui lui a fait tant de mal, comme si la honte et la culpabilité ne devaient jamais la quitter, mais elle est aujourd’hui « soulagée » de le savoir derrière les barreaux.
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À travers son témoignage, elle espère que d’autres victimes réussiront, comme elle, à trouver le courage de parler, mais aussi que les derniers à croire son agresseur innocent « voient la vérité ». À la fois fragile et déterminée, Coralie continue courageusement de porter son fardeau, quotidiennement.
« Aujourd’hui, je n’arrive pas à me dire que je pourrais oublier un jour, que je pourrais passer au-dessus de tout ça. Venir vous parler, ça a été très compliqué, j’ai hésité jusqu’au bout… Mais témoigner ici et témoigner au tribunal m’a quand même un peu soulagée. Je crois que je me sens prête pour essayer de voir un psychologue. »
*Le prénom a été modifié pour garantir l’anonymat de la victime.