La famille Garcia, à la tête de la maroquinerie Longchamp, a dû changer la forme juridique de son commerce en plein confinement. L’administration fiscale lui réclame les aides versées et en refuse d’autres. Montant total du litige : 28 000 €.
« Cet argent, nous y avons droit et nous en avons besoin, fait savoir Liliane Garcia, 73 ans. Mais ce qui nous est aussi insupportable, c’est le sentiment d’être pris pour des arnaqueurs, des profiteurs, alors qu’on est commerçants depuis 42 ans et qu’on a toujours géré nos affaires dans la légalité et le droit absolu. »
En 2019, la famille Garcia est encore à la tête de trois maroquineries dans le centre-ville nîmois, et d’une holding de gestion (la SARL Jell). Mais après le départ de leur fils Jérôme aux USA pour d’autres aventures professionnelles, Liliane et Eugène choisissent d’en fermer deux et de ne garder que leur magasin Longchamp, rue Régale.
Via le régime de la Transmission universelle de patrimoine (Tup), ils dissolvent et fusionnent leurs entreprises pour n’en conserver qu’une : au 1er avril 2020, seule la SARL Jell demeure, pour la gestion de la boutique de la rue Régale. Les statuts sont modifiés, elle perd sa qualification de holding pour devenir commerce de détail et récupère tous les contrats en cours (ceux du personnel, deux salariés, ou ceux de franchise avec Longchamp, notamment).
Magasin non-essentiel
Mais ce 1er avril 2020… le pays est en pleine crise Covid et les magasins considérés comme « non-essentiels », comme le leur, sont fermés. Le rideau de fer reste baissé plus de quatre mois et demi ; la perte de chiffres d’affaires s’élève à 85 000€ (CA annuel du magasin, environ 400 000€).
Comme les autres commerçants contraints à l’inactivité, les Garcia peuvent prétendre aux aides d’Etat. Des aides proportionnées, bien sûr, aux chiffres d’affaires précédents. Sauf que celui de la SARL Jell, qui n’était jusque-là qu’une entité administrative, est par définition quasi dérisoire…
28 000 € en moins dans la caisse
« On s’est appuyé sur un FAQ (Foire aux questions, NDLR) publié par l’administration fiscale (que nous avons fait constater par huissier) qui indiquait que dans le cadre d’une fusion il fallait additionner les CA des 2 entités », explique Laurence Garcia, la fille du couple, par ailleurs conseillère en gestion de patrimoine. Chose faite : la SARL perçoit alors 15 000 € d’aides diverses, en plusieurs fois.
Mais quelques mois plus tard, une enveloppe prévue, à hauteur de 10 000 €, leur est refusée. La famille Garcia s’en émeut auprès de l’administration fiscale qui se penche alors sur le dossier… et leur réclame le remboursement de toutes les aides reçues et même d’une autre subvention annexe liée au stock. L’addition ? 18 000 € à rendre plus 10 000 € non perçus, ça fait 28 000 € en moins dans la caisse.
« Un décalage entre les discours des politiques et la réalité »
L’affaire est portée devant la justice : en ce début d’année 2023, le tribunal administratif de Nîmes donne tort aux Garcia. Ils ont fait appel ; il sera instruit prochainement par la cour administrative d’appel de Toulouse. Mais leur avocat est « pessimiste », il le reconnaît. « L’administration fiscale émet une doctrine pendant le confinement qu’elle publie elle-même, souligne Me Guillaume Barnier. Et a posteriori, elle nous explique qu’une FAQ n’a pas de valeur, elle se cache derrière un vide juridique… Mais le droit doit rester l’expression du bon sens, il me semble. Dans cette affaire, de bon sens, il n’y a pas. »
Ce qui aurait fonctionné dans le cas d’une fusion ne marcherait pas pour une Tup, une autre forme juridique de la même démarche. Alors le juriste s’agace. « Il y a un énorme décalage entre les discours des politiques sur les plateaux télé, qui nous expliquent qu’ils ont tout fait pour sauvegarder le commerce de proximité en période de pandémie et la réalité, renchérit-il. Et parce que mes clients font un contentieux, on vient leur réclamer les aides qu’ils ont perçues ! C’est une mesure de rétention ».
« On est face à un mur »
La famille Garcia choisit de se battre. Elle porte aujourd’hui son cas sur la place publique en espérant trouver d’autres commerçants peut-être dans la même situation. Pour tenter de se faire entendre, aussi. « Parce qu’on a vraiment l’impression que personne ne nous écoute, se désespère Eugène, 77 ans. On est face à un mur. »
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