« La mer, c’est un domaine vraiment particulier », confie le capitaine Julien, le gendarme maritime qui commande le peloton de sûreté maritime et portuaire (PSMP) de Calais. C’est avec une partie de ses hommes, et d’autres appartenant au PSMP de Dunkerque, que 20 Minutes a embarqué à bord du Côte d’Opale, l’un des trois ferrys de la compagnie DFDS battant pavillon français à assurer la liaison entre Calais et Douvres, en Grande-Bretagne.
Des PSMP, il y en a neuf en France, répartis dans les ports les plus importants, civils ou militaires. L’installation d’une telle unité à Calais prend tout son sens au regard de « la forte pression migratoire » exercée par de nombreux clandestins attirés par l’El Dorado britannique. Mais ce n’est pas la seule raison, l’autre principale étant le nombre de passagers qui transitent par ce port chaque année, cinq millions en 2022. Au lendemain des attentats qui ont meurtri la France, en 2015, le gouvernement a approuvé la création d’équipes de protection des navires à passagers (Epnap) pour faire face à d’éventuelles menaces terroristes à bord des ferrys. « Si la menace terroriste est toujours présente et diffuse, on se réoriente plutôt aujourd’hui sur la menace que représenterait un forcené à bord », explique le lieutenant Julien, patron du PSMP de Dunkerque.
« Seuls à bord, nous serons les primo intervenants »
Le boulot de ces Epnap consiste donc à patrouiller à bord des navires à passagers battant pavillon français et assurant des liaisons entre la France et la Grande-Bretagne. « Protection, sécurisation, dissuasion » sont les mots d’ordre dispensés au briefing matinal par le chef du groupe que 20 Minutes a suivi, jeudi. L’équipe est composée de cinq hommes, tous marins aguerris. « Seuls à bord, nous serons les primo intervenants s’il se passe quoi que ce soit. C’est pour cela que nous sommes équipés de matériel lourd », explique l’un des membres de l’équipe. Gilet pouvant arrêter des projectiles d’armes de guerre, fusil d’assaut, arme de poing, casque et du matériel spécifique en cas de découverte d’engin explosif.
Entre la surveillance des opérations d’embarquement, de débarquement, les patrouilles sur les ponts publics en cours de traversée, les militaires sont partout. « Ça tranquillise les passagers et les membres d’équipage d’avoir des gendarmes à bord », reconnaît un membre de la compagnie DFDS. L’idée est avant tout de dissuader d’éventuels comportements malveillants. « On ne le fait pas sur toutes les traversées, ce n’est pas utile. Il s’agit de le faire de manière aléatoire, en criblant les passagers ou en fonction d’événements particuliers, comme des déplacements de supporteurs de foot par exemple », précise le lieutenant Julien. La plupart du temps, c’est assez calme et les incidents sont rares. « On a un peu trop souvent des vols dans les boutiques de duty free, parfois des gens alcoolisés mais ça s’arrête là », affirme, par expérience, Jacques Le Fur, commissaire de bord sur le Côte d’Opale.
Traversées de migrants et renseignement
Les Epnap, une mission plutôt reposante pour les gendarmes maritimes si l’on met de côté les kilos de matériel qu’ils portent toute la journée. Parce qu’il en est bien d’autres beaucoup moins paisibles, notamment celles autour de la question migratoire. Quelques jours plus tôt, en pleine Saint-Valentin, l’un des militaires de l’équipe était en opération sur une traversée de migrants. « Ils étaient une quarantaine dans un semi-rigide, les hommes sur les boudins, une jambe dans l’eau, les enfants et les femmes au milieu. Ils ont refusé notre aide jusqu’à ce que leur moteur tombe en panne », se souvient-il. « Parfois, quand ils voient les forces de l’ordre, ils balancent l’un des passagers à la mer pour avoir le temps de prendre la fuite pendant qu’on s’occupe du naufragé », ajoute-t-il.
Ces gendarmes sont aussi une précieuse source de renseignement pour la marine nationale. « Lors d’opérations de contrôle à bord de navires commerciaux, on récolte de nombreuses informations. Leur route, d’où ils viennent, les navires croisés », détaille le capitaine Jean. C’est notamment de cette manière, en janvier dernier, que les autorités ont été avisées en amont qu’un navire de guerre russe, armé de missiles, allait passer bien tranquillement par le détroit du Pas-de-Calais. « C’est le jeu, tout le monde espionne tout le monde », plaisante tout de même le lieutenant Julien. Au cours de la traversée de jeudi, il ne s’est rien passé. Ni « small boat », ni bâtiment militaire, ni vol, ni passager turbulent, « et c’est très bien ainsi », reconnaissent les gendarmes maritimes.