
Souvent, après un drame collectif, des cellules médico-psychologiques sont déployées dans les établissements scolaires, mairies, et autres lieux publics. Cela a été le cas, par exemple, après l’effroyable incendie de Charly-sur-Marne qui a tué une mère et ses sept enfants, dans la nuit du dimanche 5 au lundi 6 février 2023. En quoi consiste réellement une cellule d’urgence médico-psychologique, dite également « CUMP » ? Quel est son rôle après une catastrophe collective ? Le Pays Briard a recueilli les propos de Gaëlle Abgrall, 50 ans, médecin psychiatre.
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Le Pays Briard : en quoi consiste votre métier ?
Gaëlle Abgrall : actuellement, je suis psychiatre référente de la cellule d’urgence médico-psychologique pour Paris et la coordination francilienne. Sachant qu’il y a une cellule par département qui est rattachée à son Samu. En cas de catastrophe collective ou d’événements sanitaires exceptionnels, on peut nous déclencher via le Samu pour proposer des soins médico-psychologiques précoces aux personnes impliquées dans ces catastrophes collectives.
LPB : comment les CUMP ont été créées ?
G.A : elles ont été créées en 1995 après l’attentat du 25 juillet 1995 à la gare Saint-Michel du RER B. Il y a eu une prise de conscience aiguë sur le fait qu’on prenait très bien en soin les personnes blessées physiques, mais que les potentiels blessés psychiques n’étaient pas du tout pris en soin en préhospitalier. Ça a été créé par le secrétaire d’État à l’Action humanitaire d’urgence, Xavier Emmanuelli, à la demande du président de l’époque, Jacques Chirac.
LPB : de qui est composée une CUMP ? Quels sont les rôles des intervenants ?
G.A : il y a des psychiatres, des psychologues et des infirmiers. Leur rôle, c’est d’intervenir en immédiat et post-immédiat auprès de personnes qui ont été confrontées à un événement qui peut être particulièrement psychotraumatique. Sur notre territoire francilien, ça peut être des attentats, ça peut être quelqu’un qui agresse quelqu’un d’autre avec un couteau dans une école, ça peut être un accident sur l’autoroute particulièrement meurtrier. Ça peut être toutes les catastrophes collectives.
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LPB : avez-vous un exemple d’une intervention faite récemment ?
G.A : ça remonte à jeudi dernier. Il y a eu une personne qui s’est défenestrée et qui est décédée. Un certain nombre de personnes avaient assisté à la scène. Nous sommes allés sur le lieu même de l’événement puisque c’est un lieu professionnel et nous avons pu proposer des soins médico-psychologiques, non seulement aux personnes qui étaient présentes et proches de la victime, mais aussi aux personnes qui travaillaient dans cette structure.
LPB : quand ces cellules sont placées dans des établissements scolaires, comment ça se passe pour qu’un enfant puisse s’y rendre ?
G.A : il faut l’autorisation de ses parents. Comme ce sont des mineurs, il faut que le parent soit d’accord, que les consultations soient psychologiques, infirmières ou médicales. Généralement, ce qui se passe, c’est que l’enfant s’y rend avec ses parents, il s’y rend rarement seul. Et à ce moment-là, on propose un entretien individuel ou collectif. Souvent, au départ, il y a la présence des parents et de l’enfant, ensuite l’enfant est vu seul et enfin, on fait un retour aux parents, avec l’enfant également. C’est le déroulement d’une prise en soin individuelle classique, avec les spécificités qui sont en lien avec la prévention du psychotraumatisme.
LPB : les enfants se rendent-ils facilement dans les CUMP ?
G.A : tout dépend de l’âge de l’enfant. Pour les adolescents et jeunes adultes, ils peuvent tout à fait s’y rendre facilement. Quand ce sont des enfants plus petits, ils sont souvent accompagnés par leurs parents. C’est quelque chose qui est quand même déstigmatisé, c’est-à-dire que maintenant, à chaque fois qu’il y a un événement qui peut être potentiellement psychotraumatique, les gens savent qu’il y a une possibilité d’une prise en soin précoce, qu’ils peuvent prévenir ce trouble de stress post-traumatique qui est quand même un peu mieux connu qu’il y a une vingtaine d’années. Et ils peuvent avoir un bénéfice à aller consulter précocement des personnes spécialisées.
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LPB : intervenez-vous pour d’autres raisons que les événements collectifs tragiques ?
G.A : non, les CUMP ont été clairement créées et dimensionnées pour cela. Le drame individuel, malheureusement, ne pourra pas être pris en soin de la même façon. Après, sur certains territoires de santé, en particulier à Paris, les personnes qui sont dans un cas psychiatrique peuvent joindre par téléphone un infirmier compétent qui peut les guider dans le parcours de soin via le 15. Ce n’est pas encore le cas dans tous les territoires de santé. Pour la prévention de la crise suicidaire, il y a le numéro national de prévention du suicide qui est le 3114, et qui est ouvert sur l’ensemble du territoire français. Il y a aussi un centre de Samu de Paris pour l’Île-de-France.
LPB : existe-t-il des cellules psychologiques permanentes ?
G.A : le principe de la médecine de ces cellules d’urgence médico-psychologiques, c’est celui de la médecine de catastrophe. C’est intervenir en immédiat ou post-immédiat, donc rapidement après l’événement, sur un lieu suffisamment sécurisé, mais à proximité de l’événement. On va alors ouvrir ce qu’on appelle des postes d’urgence médico-psychologique qui sont des lieux de soin qui vont être dans des écoles, gymnases, mairies, voire parfois dans des tentes en milieu rural. Ce sont des lieux de soin temporaires qu’on va garder ouverts le temps nécessaire pour prendre en soin les personnes qui ont été impliquées dans un événement. Il est dit que les CUMP peuvent rester sur le terrain jusqu’à un mois après l’événement, avec des adaptations en fonction de l’événement. Par exemple, lors des attentats de novembre 2015 à Paris, les CUMP ont été ouvertes dans les mairies des 10e et 11e arrondissements à peu près un mois.
LPB : avez-vous des horaires ?
G.A : quand on ouvre un hôpital médico-psychologique de campagne généralement, on définit des horaires pour que ce soit plus clair pour les personnes. Moi, je me rappelle de l’incendie de Notre-Dame, ça a eu lieu le soir donc on était présents la nuit. Après, quand on va structurer le dispositif en post-immédiat, on va plutôt proposer des horaires de journée.
LPB : pourquoi est-ce important d’avoir des cellules médico-psychologiques ?
G.A : pour plusieurs raisons. D’une part, ça permet de prévenir les éventuels troubles psychotraumatiques, ça permet aux personnes de bien identifier leurs symptômes, de bien les comprendre, de s’adresser au bon endroit s’ils souhaitent des soins ultérieurs. D’autre part, ça permet une articulation sur le territoire départemental en réseau avec toutes les structures, non seulement de sécurité civile, avec les pompiers, le Samu, et la structure de soin hospitalier et tout le réseau de santé mentale. Où que vous soyez sur le territoire national, si vous faites le 15 et que vous demandez le référent CUMP, vous aurez quelqu’un spécialisé en psychotraumatologie qui pourra vous répondre. Par téléphone éventuellement, s’il y a nécessité, vous appelez le 15 parce que vous êtes pris dans un accident très grave et vous voyez qu’il y a plein de blessés, vous prévenez les secours et vous dites qu’il y a plein de gens affolés. À ce moment-là, on va déployer aussi la CUMP.
LPB : pourquoi avez-vous choisi ce métier ?
G.A : c’est une activité fondamentale, non seulement en termes de soin immédiat et post-immédiat qu’on peut proposer à l’ensemble de la population et sur l’ensemble du territoire, mais aussi en termes de prévention et de formation. Je suis aussi enseignante à la faculté de Paris, je donne pas mal de formations donc tout ça, ça fait partie des missions des CUMP.